Décès d’un enfant de mère inconnue et trois curés en 1792

Il arrive hélas que l’on découvre  parmi ses ancêtres des enfants abandonnés dont on ne connaît pas les parents. Mais l’histoire que j’ai rencontrée en parcourant les actes de la Commune des Moitiers-en-Bauptois, dans la Manche, est certainement beaucoup plus rare. Il ne concerne pas un de mes ancêtres mais concerne le patronyme HASLEY qui est celui de mon arrière-grand-mère, patronyme  très présent sur la commune.

Cette histoire individuelle se situe aussi au cœur de la période révolutionnaire.

Le jeudi 26 avril 1792, a lieu l’inhumation du corps d’un enfant de trois mois, décédé sans avoir reçu le baptême et n’ayant pas été nommé. On ne connaît pas non plus son sexe. Mais ce n’est pas un enfant abandonné, il est dit « appartenant » à Pierre HASLEY, tisserand qui ne veut pas donner le nom de la mère. C’est plutôt étonnant, l’inverse est beaucoup plus courant où la mère refuse de dire de qui son enfant est l’œuvre. C’est pourtant quand même plus difficile à cacher. Et puis ce terme « appartenant » au lieu du simple « fils de » m’interroge et me donne envie de creuser.

Alors j’ai cherché à en savoir un peu plus sur ce Pierre HASLEY mais l’identifier n’est pas simple vu le nombre de HASLEY. Heureusement, il y a moins de Pierre que de Jean. J’ai trouvé deux potentiels papas pour cet enfant. Celui pour lequel, j’ai un indice, c’est Pierre, fils de Jacques et de Marie Françoise COUSIN, né le 6 juin 1647, il aurait donc eu 45 ans au moment de la mort de cet enfant. J’apprends  aussi qu’il s’est marié le 18 septembre 1779 avec Louise Marguerite LESAGE et qu’il est dit tisserand, comme le Pierre de l’acte de décès. Ce qui donne une information complémentaire, c’est aussi que ce Pierre signe.

Hélas, cette donnée n’est pas probante, car le père ne signe pas sur l’acte d’inhumation, ne permettant pas la comparaison. Mais il n’y est pas dit qu’il ne sait pas signer et les actes de décès d’enfants qui suivent ne sont pas non plus signés par le père. Sur l’acte, le seul témoin qui signe avec le curé est le custos, Jean François RAISIN.

Ce couple a eu trois enfants. Jean Pierre Alexis, naît en 1780 et décède deux jours plus tard. Puis Marie Louise vient au monde en 1782, suivie en 1785 par Pierre Thomas. Ceux-ci sont toujours en vie en 1792. Si c’est ce Pierre HASLEY, le père de l’enfant, ce dernier serait donc un enfant adultérin. Mais je découvre que Louise Marguerite, l’épouse de Pierre, décède le 8 juillet 1787 et je ne ne trouve pas de remariage pour Pierre. Alors, l’adultère a-t-il été du côté de la mère et Pierre aurait assumé seul la paternité, pour protéger la mère du qu’en dira-t-on, l’affrontant pour lui-même ? Mais comment la mère aurait-t-elle pu cacher sa grossesse à son époux ?

Mais l’autre Pierre HASLEY a aussi attiré mon attention, bien qu’il se prénomme Pierre François, à son baptême. C’est le fils de Charles et d’Anne Ursule LEGASTELOIS, né le 22 mai 1764, donc âgé de 28 ans. Ce qui m’a interpellée le concernant c’est qu’il décède deux mois après cet acte d’inhumation, le 13 juin 1792. Sur son acte de décès, il n’est pas mentionné d’épouse et il n’est pas dit qu’il est décédé accidentellement. Alors je me suis mise à imaginer leur histoire… Se sachant malade, il a pu vouloir taire le nom de la mère de l’enfant pour qu’elle puisse plus facilement se marier si elle ne l’était pas ou ne pas subir seule l’opprobre des villageois, si elle était mariée. Mais dans ce cas je me pose la même question que pour le couple précédent.

Mais laissons Pierre à ses secrets d’amour pour nous intéresser à la fin de l’acte d’inhumation du jeune enfant. Ce qui m’a dans un premier temps interpellée, c’est que le curé l’inhume dans le cimetière, alors qu’il n’avait pas été baptisé.

« Sans baptême, les petits morts qui n’ont pas reçu de nom, ni de parents spirituels, ne sont intégrés ni à la communauté des morts ni à celle des vivants. Leur corps ne peut être enterré dans le cimetière paroissial en terre consacrée ; ils sont inhumés n’importe où, comme des animaux, au pire dans un champ où leur corps servira à « engraisser les choux », au mieux dans le jardin familial ou dans un coin non consacré du cimetière. »  (La mort d’un bébé au fil de l’histoire, Marie France MOREL)

Mais je réalise que cela se passe en 1792. Après la Révolution, le cimetière devient un lieu laïc qui passe du ressort de l’église à celui de la commune. Par ailleurs, je découvre, dans la « Notice historique sur les Moitiers-en-Bauptois et ses environs », rédigée, en 1884, par Nicolas MAUGER, l’ancien instituteur de la commune, que le curé LEDANOIS qui signe l’acte est un curé constitutionnel.

Les prêtres constitutionnels sont les prêtres qui ont prêté le serment exigé par la Constitution civile du Clergé, adopté par décret le 12 juillet 1790. Leur statut est celui de salarié et d’agent de l’État. Les curés sont élus par les citoyens de leur circonscription. Environ 50 % des curés d’Ancien Régime ont prêté le serment. On les appelle également prêtres « jureurs ».

Le curé GERMAIN qui l’a précédé a signé son dernier acte, le 24 mai 1791. Refusant de prêter serment, il est parti en exil en Angleterre et a donc été remplacé par le curé LEDANOIS, originaire du village voisin de Vindefontaine.

Notre curé citoyen fait montre de zèle républicain. Nicolas MAUGER rapporte que « Jean COUILLARD, décédé le 4 février 1793, fut inhumé par le curé LE DANOIS, mais il ne voulut pas l’entrer dans l’église, ni chanter l’office ordinaire, ni même permettre qu’on sonnât pour lui parce qu’il était aristocrate. Le 9 du même mois, le conseil communal s’assembla pour protester contre ce refus arbitraire et infliger un blâme au curé citoyen. »

Le 27 décembre 1792, le curé citoyen LEDANOIS transmet le registre paroissial au maire de la commune, en application du décret de l’Assemblée législative du 20 septembre 1792 qui définit un nouveau mode pour « constater l’état civil des citoyens », la tenue des registres étant retirée aux curés et remise aux maires. Cette sécularisation de l’état civil institue la substitution du nom de baptême par la dénomination d’un terme emprunté au latin, le prénom.

Le 22 mars 1794, l’église fut transformée en Temple de la Raison, par délibération de la commission municipale : « Ce jourd’hui deux germinal an deux de la République française, nous membres composant la commission municipale des Moitiers ayant appris que dans différente commune on avait volé dans les églises des meubles ou argenteries qui servais à l’exercice du culte et les considérant comme propriété nationalle avons arrêté que les dits meuble existants dans celle de notre commune serais portés au Directoire du District de Carantan dans le plus bref délai et ne reconnaissons d’autre culte que celui de la Raison. En conséquence, arrêtons et déclarons que l’église de cette commune portera à l’avenir le nom de temple de la Raison, point central de réunion de tous les bons citoyens qui aime à s’instruire des lois de leur pays. »

À la suite du Concordat de 1801 entre la République Française et le Saint-Siège, le curé GERMAIN revient en 1802 dans son ancienne paroisse où il reprend aussitôt l’exercice de ses fonctions. Il n’en fut solennellement remis en possession que le 9 février 1804.

Le prêtre LEDANOIS, resté dans la mémoire des anciens motelons, n’est pas le curé citoyen mais le bienheureux Louis LEDANOIS, enfant du pays, né aux Moitiers le 4 novembre 1744 et ordonné prêtre en 1769. Après avoir été vicaire dans plusieurs communes de la Manche, en 1787, il va à Paris où, nommé vicaire à Saint-Roch, il poursuit des études et obtient une licence en droit. Ayant refusé de prêter serment, il est arrêté le 2 septembre 1792 et massacré avec 114 autres religieux au Couvent des Carmes. Il est béatifié le 17 décembre 1926 par le Pape Pie XI.

En hommage, un vitrail lui a été consacré dans l’église, au XXème siècle.

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