Au fil du temps
Cette rue qui prolonge la rue Galande et précède les rues Descartes et Mouffetard, forme avec elles , une partie de l’ancienne voie romaine reliant Lutèce à Lyon et Rome. Elle s’est appelée entre le XIIIe et le XVIIIe siècles, Sainte-Geneviève, Sainte-Geneviève-la-Grande et Sainte-Geneviève-du-Mont puisqu’elle conduisait à l’abbaye qui était située sur la petite montagne dominant la rive sud de Paris. Elle porta quelques temps le nom des Boucheries, dû aux quinze étaux, propriété de l’abbaye, qui y furent installés, de la fin du XIIe au début du XIIIe siècle. Enfin elle porta le nom de la Montagne de 1793 à 1805. Elle porte son nom actuel depuis cette date.

Extrait du Plan de Turgot, 1839 – BnF
Mes ancêtres qui y demeurèrent
J’ai déjà parlé de cette rue dans l’article sur Rose Marguerite POURCIN, épouse de Jean Claude VIALAT. Elle m’intéresse beaucoup car c’est là que je retrouve rassemblés, mon ancêtre Pierre Henri KRABBE et ses trois beaux-frères, tous typographes. Ce que j’aimerai beaucoup découvrir, c’est comment ils se sont rencontrés et comment ils sont devenus typographes puis imprimeurs et/ou libraires éditeurs, alors que rien ne les y prédisposait.

Mes quatre typographes
La première fois que je vois le lien entre eux, c’est lors du mariage de mon ancêtre Pierre Henri KRABBE, fils de Antoine Henry et de Adélaïde Sophie ROUVEAU, avec Jeanne Angélique VIALAT, fille de Jean Claude VIALAT et de Rose Marguerite POURCIN, le 26 mai 1827. L’époux ainsi que l’épouse et sa famille habitent alors à la même adresse, au 9 rue Descartes.
Pierre Henri, né le 1er avril 1807, est donc âgé de 20 ans et est compositeur, c’est-à-dire typographe. Je ne sais pas quand il s’est formé à cette profession, son père étant maître horloger. Le père de Jeanne Angélique est menuisier/mécanicien et vient d’une famille de meuniers en Haute-Sâone.

Le 25 septembre 1828, Marie Jeanne VIALAT, fille aînée de Jean Claude et Rose Marguerite POURCIN, née le 14 mars 1805, demeure 47 rue de la Montagne-Sainte-Geneviève et est dite mercière. C’est le jour de son mariage avec Louis Victor GIROUX, né le 11 août 1807, typographe, demeurant 40 rue des Boulangers. Il est fils de Thomas Julien GIROUX, marchand de vin/tonnelier, et de Marie Thérèse PANEL. L’acte reconstitué étant très succinct, je ne sais pas si Marie Jeanne habite chez ses parents.
Et le 13 novembre 1830, j’apprends que Pierre Henry KRABBE et Jeanne Angélique VIALAT demeurent aussi à cette adresse où vient de naître leur fille aînée, mon ancêtre Victorine Thérèse Coralie. Les témoins sont Louis Victor GIROUX, habitant dans la dite maison et Joseph Théodore SAUVAGE, aussi typographe, âgé de 65 ans, demeurant au 5 rue Charretière. C’est sûrement un collègue et donc peut-être une piste à suivre…
Jeanne Rose VIALAT, sœur de Jeanne Angélique, née le 11 avril 1814, la première de la famille née à Paris, épouse, le 13 octobre 1831, Louis Henry JADOR, typographe, né à Paris le 23 avril 1806, fils de Henry, né à Gand, chef de cuisine, et Marie Antoinette Céline BOIVIN et demeurant 22 rue du Foin. Jeanne Rose vit toujours à cette adresse de même que Pierre Henry KRABBE, témoin. Le second témoin Louis Victor GIROUX habite maintenant au 4 rue d’Ulm.
Augustine Emélie KRABBE, voit aussi le jour, le 18 août 1832. Et les témoins sont ses oncles maternels, Louis Victor GIROUX qui a déménagé au 46 rue de la Montagne-Sainte-Geneviève et Jean Baptiste Clair VIALAT, lui aussi typographe et qui est au 54 de la même rue.
Voilà donc mes quatre typographes réunis ! Mais j’ignore toujours quand et avec qui ils se sont formés à ce métier. Seul lien avec l’imprimerie que je vois, c’est Jeanne VIALAT, leur tante, qu’ils ont rejoint à Paris, au moins en 1815. À cette date, elle est veuve de Jacques Jean DANJOU, de son vivant imprimeur mais dont je n’ai pas retrouvé le décès. Le couple VIALAT- POURCIN, est-il monté à Paris, dès 1810, après la naissance de leur fils à Forcalquier et ont-ils eu le temps de connaître Jacques Jean DANJOU ? Ou bien serait-ce Jeanne VIALAT, restée en vie jusqu’en 1838, qui les a mis en relation avec d’anciens collègues de son mari pour qu’ils fassent leurs apprentissages avec eux ?
Révolution de 1830 et mouvements des typographes
Louis Henry JADOR est le seul dont je connais le parcours préalable. J’ai retrouvé sa fiche sur « Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social« . « Vers l’adolescence ou au début de l’âge adule, il rejoignit son père à Bruxelles. En 1825, il est embauché dans l’imprimerie Béthune. En 1828, il est arrêté à Bruxelles avec Benjamin-Louis Belleten, pour un article publié dans l’Argus et condamné à un an de prison . Gracié, il fut contraint de se réfugier en France. »

Louis Henry JADOR revient donc en France où il rejoint les ateliers de l’imprimerie Béthune de Paris.
Mais revenons un peu en arrière. Dans la nuit du 28 novembre 1814, la presse à double cylindre à vapeur de Friedrich Koenig et Andreas Bauer, en imprimant le Times à la vitesse exceptionnelle de 1 100 feuilles par heure, marque le début de l’industrialisation de l’imprimerie. Si elle arrive dans la nuit, c’est pour éviter les réactions négatives des ouvriers qui n’en voulaient pas. Les cinq premières presses arriveront en France, en 1829, à l’Imprimerie impériale, après que le directeur est négocié une augmentation de salaire pour faire accepter aux salariés la mécanisation. En effet en Angleterre comme en France, les ouvriers imprimeurs-typographes voient d’un très mauvais œil, l’arrivée de ces presses mécaniques, pressentant qu’elles vont transformer leurs conditions de travail et être source de chômage technologique résultant pour eux de la modernisation du matériel, en remplaçant la main d’œuvre par la machine.
Et puis on arrive très vite à la Révolution des Trois Glorieuses (27-28 et 29 juillet 1830) qui renverse le régime de la Restauration. Les ouvriers de l’imprimerie sont très mobilisés, pendant ces trois jours. Et le 29 juillet 1830, une cinquantaine d’ouvriers imprimeurs-typographes en profitent pour envahir l’Imprimerie impériale et y détruire les cinq presses mécaniques récemment introduites dans les ateliers. Louis Henry JADOR participe à ce mouvement. Pour défendre leurs idées, il écrit, en août 1830, d’abord une brochure de quinze pages, intitulée Dialogue entre une presse mécanique et une presse à bras, recueilli et raconté par une vieille presse à bois, enrichi de notes… Cet écrit, de manière imagée, pose des vrais questions et exprime bien la crainte des travailleurs du livre de voir bouleverser leur autonomie de travail, leurs formes d’organisations internes, avec ces rituels et coutumes de sociabilité et menacer leur emploi.


« Louis Henry JADOR va écrire aussi Procès de la Commission des ouvriers typographes, au bénéfice de la caisse de secours mutuels pour les typographes sans ouvrage. Il organise, le 14 novembre 1830, à la barrière du Maine, une manifestation des imprimeurs de Paris. Il publie aussi en 1830 Le Patriotisme du « Constitutionnel » dévoilé, suivi de quelques réflexions sur l’introduction des presses mécaniques dans l’imprimerie «
À côté de ces actions violentes, ils créent une « Commission typographique, » composée de quinze membres, venant de secteurs différents de l’imprimerie pour établir une autorité collective légitime, avec l’objectif à la fois de construire un discours alternatif à la théorie de la mécanisation, visant à contester la théorie d’industrialisation et la politique économique libérale mais aussi en vue de négocier collectivement pour obtenir des garanties sur leurs conditions de travail, face à cette mécanisation qu’ils refusent mais qu’ils pressentent inéluctables.
Est-ce lors de ces manifestations de typographes que Louis Henry JADOR a fait la connaissance de mes trois autres typographes et a rencontré ainsi sa femme ? Cela me parait fort possible.
Que deviennent-ils ?
Pierre Henri KRABBE se lance dans ce qui va être son futur métier, libraire-éditeur, muni de son brevet, obtenu le 6 mai 1833. Malheureusement, aux Archives Nationales, il n’y a plus que la pochette vide de son brevet.

Il n’a pas perdu de temps pour commencer à publier. J’ai retrouvé, sur des sites de vente en ligne, deux des premiers livres qu’il a édités, en 1833, alors qu’il habitait au 46 rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. Ils sont hélas trop chers pour ma bourse. Mais ça veut dire qu’ils sont toujours recherchés par les collectionneurs.





En 1834, il est toujours à cette même adresse quand il édite « Environs de Paris », en trois volumes.
« En 1833, Louis Henry JADOR travaillait toujours dans l’imprimerie Béthune, devenue « Béthune, Belin et Plon », à Paris. Sa situation professionnelle évoluera progressivement : de typographe, il devint correcteur puis comptable. »
Le 16 janvier 1836, Jean Baptiste Clair VIALAT, né le 2 janvier 1810, épouse Louise Pauline ORANGE, née le 11 juillet 1915, à Lagny-sur-Marne, en Seine-et-Marne. Leur acte de mariage est très peu lisible et je n’ai pas pu déchiffrer le métier et l’adresse de l’époux. Par contre, ses témoins sont ses beaux-frères, Victor Julien GIROUX et Pierre Henri KRABBE, tous deux sont imprimeurs libraires et demeurent à Lagny-sur-Marne.
Les aventures de mes quatre typographes vont se poursuivre en partie, à cette nouvelle adresse. Ils auront droit à plusieurs articles, hors Challenge, pour raconter leurs aventures, leurs difficultés et leurs belles rencontres.
Sources
Jacques HILLAIRET, « Dictionnaire historique des rues de Paris, tome 2 »
« Quand les typographes brisaient les machines : subordination et insubordination ouvrière à l’ère des Révolutions (1830-1848) », François Jarrige
« Les ouvriers imprimeurs-typographes et la Révolution de 1830 en France », Francois Jarrige
« La Modernisation des techniques d’imprimerie au XIXe siècle », Charlotte Denoël, L’Histoire par l’image
« Presse typographique », Wikipedia
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