P comme… rue des Poulies

Au fil du temps

C’est une ancienne voie, du 1er arrondissement, située dans le prolongement de la rue d’Orléans qui allait de la rue Saint-Honoré à la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois où elle était poursuivie par la rue du Petit Bourbon. Sauf pendant une courte période, au temps de Louis XIV, où on l’appela Villequier du nom d’un hôtel qui s’y trouvait, cette rue conserva jusqu’en 1853, son vieux nom du XIIIe siècle, dû aux poulies que les tisserands, qui alors y habitaient, employaient dans leurs machine à travailler le drap.

En 1770, les hôtels situés rue des Poulies et faisant face aux Louvre sont détruits pour créer la Place du Louvre qui est ensuite agrandie en 1854 en détruisant des maisons sur le côté est de la rue des Poulies. Après le prolongement de la rue de Rivoli, décidé en 1848, la rue des Poulies commence au niveau des 154-156 rue de Rivoli. Peu après dans le cadre des travaux du baron HAUSSMANN, cette rue disparaît lors du percement de la rue du Louvre. Cette belle superposition de tracés des rues ancienne et contemporaines permet de suivre ces évolutions. Merci à son créateur qui l’a mise en libre utilisation. Mais comme on va le voir quelques îlots sur la droite de la rue ont été préservés…

La rue des Poulies à Paris en 1793-1795 (plan des sections, feuille 34) avec en superposition, le tracé contemporain des rues – Wikimedia

Mes ancêtres qui y demeurèrent

Le 7 juillet 1697, Claude PETIT, l’un des douze marchands de vin en gros et en détail privilégiés suivant la Cour et Conseils du Roy, vend cet office dont il est pourvu à mon ancêtre Laurent BOUTRON, demeurant rue des Poulies, Paroisse Saint-Germain-l’Auxerrois.

J’ignore quand est né Laurent BOUTRON mais je sais, par l’ascendance retrouvée de son frère Martin, qu’il est le fils de Claude BOUTRON et de Jeanne PAULTRAT, demeurant à Breugnon, dans la Nièvre, où Laurent et Martin ont dû naître. Il épouse, Jeanne DAUVILLIERS, avant 1684. Celle-ci décède en juin 1687, laissant Marie Jeanne, âgée de 3 ans et Coline Laurence, âgée de deux ans. Je ne sais pas pour l’instant ce que sont devenues ces deux petites. Laurent se remarie, par contrat passé le 23 juin 1687, avec Marie Barbe RAVAULT, fille de Nicolas et de Barbe PREVOST. Je n’ai pas pu consulter ce contrat de mariage qui est bien répertorié mais les minutes sont manquantes pour la période correspondante de janvier à juin 1687. Dommage car j’aurai pu savoir si Laurent habitait déjà à cette adresse. De cette union, naîtront sept enfants, d’abord trois filles puis quatre garçons dont mon ancêtre Edmé Laurent. Marie Barbe décède, je ne sais quand et il se remarie avec Marie Françoise SAGAULT, par contrat passé le 24 mars 1704. À cette date, il demeure toujours rue des Poulies.

Le 12 février 1722, Louis CHEVALIER, Etienne ROBLIN et Jean PERDRUGEON, marguilliers en charge de l’œuvre et Fabrique de l’église royale et paroissiale de Saint-Germain-l’Auxerrois, baillent à Laurent BOUTRON, « deux maisons appartenant à la Fabrique, attenantes l’une de l’autre scize rue des Poulies ayant deux porte de communication dans le mur séparant les dites deux maisons ainsy qu’elles se poursuivent et se comportent et dont le Sieur preneur est content disant les bien scavoir et connaistre pour y estre demeurant depuis nombre d’années […} Ce bail faict moyennant le prix de quatorze cent trente livres dont il y a quatorze cent livres pour tenir lieu du revenu et trente livres pour le rachat de la taxe des boues et lanternes, le tout pour et par chacune des neufs années que led(it) sieur s’oblige bailler et payer. »

Nous en savons donc un peu plus sur la maison dans laquelle il habite sûrement depuis au moins 1697. L’apposition des scellés à son domicile, le 7 juillet 1726, m’apprend qu’il est décédé « en une maison sise rue des Poulies à l’encoignure de la rue Bailleul appartenant à l’œuvre de la Fabrique de Saint Germain l’Auxerrois, dont il était principal locataire, à laquelle maison pend l’image de Saint-Laurent ». Ces scellés sont vraiment trop mal écrits pour pouvoir parcourir son domicile. J’espère que son inventaire après décès que je n’ai pas encore consulté m’en dira plus. Mais on sait déjà qu’elle se trouve à l’angle de la rue Bailleul.

Extrait du Plan parcellaire Saint Honoré, îlot N°10, avant 1860 – Archives de Paris

Cette maison en deux parties, sur le Plan parcellaire d’avant 1860, à l’angle des rues Poulies, Bailleul et Jean Tison ressemblent vraiment aux deux maisons attenantes, avec deux portes communicantes, décrites dans le bail. Et si l’on regarde le plan superposant la rue du Louvre sur la rue des Poulies, on peut remarquer que cet îlot a été préservé, lors de la création de la rue du Louvre. Alors si bien sûr, elle a été complètement restaurée, il me semble bien que la maison est celle sur cette photo, prise de l’angle rue Jean Tison, rue Bailleul. Elle a de l’allure et je comprends qu’il y soit resté au moins 29 ans.

Pourraient bien avoir été conservés de l’époque de Laurent BOUTRON, ces angles en pierres taillées et ces portes, surmontées d’élégantes fenêtres en arc, qui correspondent aux ouvertures sur le plan parcellaire. Ce qui m’autorise à le penser, c’est aussi cette aquarelle, représentant le carrefour des rues Bailleul et Jean Tison, sur laquelle on retrouve, sur la maison de droite, ces pierres décoratives en angle et cette fenêtre en arc. Ce que je ne comprends pas, c’est la tourelle qui jouxte la maison et qui n’apparaît pas sur le plan parcellaire, ci-dessus, qui date à peu près de la même époque.

Thomas Shotter Boys (1803-1874). « Le carrefour des rue Bailleul et Jean Tison, actuel 1er arrondissement, Paris », 1831. Paris, musée Carnavalet.
Tourelle de l’hôtel Schomberg, au coin rues Bailleul et Jean-Tison, 1852, Dessin A. Potémont – BnF

J’ai voulu mener mon enquête. Dans les commentaires de la peinture, sur le site du Musée, il est mentionné : « La tourelle d’angle placée à droite est probablement celle de l’hôtel Schomberg, démoli en 1852 par le percement de la rue du Louvre ». Je ne comprenais pas cette hypothèse puisque la rue Jean Tison n’a pas été impactée par le percement de la rue du Louvre mais par celui de la rue de Rivoli, comme on le voit, plus haut, sur la superposition des plans. Cette démolition me conforte dans l’idée que l’hôtel était sur l’autre angle entre la rue de Bailleul et la rue Jean Tison.

Ce que me confirme cet extrait du plan parcellaire de ce côté de la rue Jean Tison, sur lequel, un petit rond à l’angle, symbolise sûrement la tourelle.

Extrait du Plan parcellaire Saint Honoré, îlot N°9, avant 1860 – Archives de Paris
Auguste Sébastien Bénard (1810-1873). « Hôtel de Schomberg, rue Jean-Tison ». Aquarelle. Paris, musée Carnavalet.

Je ne résiste pas au plaisir de rajouter ce beau dessin dont le travail d’ombre valide les résultats de mon enquête. J’en déduis que sur l’aquarelle, il y a un défaut de perspective. Ma maison semble coller à l’hôtel Schomberg mais en fait entre eux, il y a bien la rue Jean Tison, l’hôtel étant sur l’autre côté de la rue. De même, la maison Boulanger qui serait le premier « restaurant », semble en retrait alors qu’elle se trouve rue des Poulies, au même niveau que ma maison, en vis à vis, de l’autre côté de la rue Bailleul. Ceci dit, je suis trop contente d’avoir trouvé cette très belle aquarelle, d’un anglais visitant Paris. Elle est pleine de vie et me confirme que ma maison existe toujours.

« Legrand d’Aussy relate que le terme de « restaurant » trouve son origine dans les « bouillons restaurants », habituellement servis aux femmes enceintes et aux personnes malades. En 1765, un marchand de bouillon nommé Boulanger devient le premier « restaurateur », rue des Poulies, à Paris : il sert ces bouillons restaurants à d’autres personnes. Ces bouillons, qui existent depuis le Moyen Âge, sont composés de viande, mais aussi, selon les recettes, de racines, d’oignons, d’herbes, d’épices, de sucre, de pain, voire de pétales de rose, de raisins ou d’ambre. Boulanger affiche sur sa porte la devise « Venite ad me, omnes qui stomacho laboratis, et ego restaurabo vos » (« Venez tous à moi, vous dont l’estomac crie misère, et je vous restaurerai »). Il invente le nom de « restaurant » dans son sens actuel : à toute heure de la journée, il propose chez lui de la nourriture servie à prix fixe ». À quelques années près, il n’aurait eu qu’à traverser la rue pour acheter du vin, à mes ancêtres, pour ses clients.

Mais l’histoire de cette maison ne s’arrête pas là, elle continue avec Edmé Laurent BOUTRON, né le 4 mars 1695, l’aîné des garçons de Laurent BOUTRON et de Marie Barbe RAVAUT. Le 30 janvier 1718, alors qu’il est marchand de vin, il achète, avec l’aide de son père, chez qui il demeure rue des Poulies, la charge de Sommier des broches du Grand commun du Roi, dont Sébastien DUTEIL, lui a délaissé la succession. Il entre en fonction le 3 février 1718. « Cet officier est chargé de surveiller les denrées carnées destinées aux tables et offices du grand commun lors des voyages de la cour ou lors des campagnes militaires. » Il sortira de la charge en août 1727.

Il se marie le 17 juillet 1718 avec Geneviève MOREL, fille de feu Mathieu Simon MOREL et de Marie LEMATTE qui habitait chez son grand-père et tuteur, Antoine LEMATTE, rue Froidmanteau. Ils auront six enfants, quatre filles et deux garçons.

Je le retrouve ensuite le 31 juillet 1739, au mariage de ma Sosa Marie Geneviève, leur fille aînée, avec François Dominique BARRAU, maître tailleur, fils de Dominique BARRAU et Catherine VIALASE de la COSTE, demeurant rue de l’Arbre Sec. Edmé Laurent, son épouse et sa fille sont toujours rue des Poulies. Il est alors l’un des douze marchands privilégiés du Roi, comme l’était son père. Il en sera de même le 1er janvier 1741, lorsque sa cadette, Françoise Nicole, épouse Lazare DUVAUX, marchand bijoutier, demeurant rue de la Monnaie qui est promis à un bel avenir. Il y a bien du beau monde dont la liste est impressionnante, à la signature du contrat de mariage.

Je ne suis pas sûre qu’il reste encore très longtemps, rue des Poulies, car le 18 novembre 1744, il achète une maison, rue du Coq Saint-Honoré dont je n’ai malheureusement pas trouvé l’acte. J’ignore si la famille s’est installée tout de suite, dans cette nouvelle maison, mais ils y ont vécu au moins entre le 3 mai 1765 et son décès survenu le 17 avril 1768. Son épouse,Geneviève MOREL y a poursuivi seule sa vie jusqu’au 28 mai 1784.

Encore une famille sur laquelle j’aurai beaucoup à raconter, tant sur les marchands de vins, nombreux autour d’eux que sur les destinées de ces deux générations d’enfants.

Sources

Jacques HILLAIRET, « Dictionnaire historique des rues de Paris, tome 2 »

Procosour, pour l’office de Sommier des broches du grand Commun du Roi

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