U comme… rue des Ursins

Au fil du temps

Ce nom des Ursins a été porté par trois vieilles rues, sur l’île de la Cité, à savoir : la rue Basse-des-Ursins, la rue Haute-des-Ursins et la rue du Milieu-des-Ursins. La première longue de 140 m, commençant à la rue des Chantres, comme la rue des Ursins actuelle dont elle suivait le tracé jusqu’à la rue du Cheval-Saint-Landry. C’était en 1321, la rue du Port-Saint-Landry ou Grande-Rue-Saint-Landry-sur-l’Yaue, au XVIe siècle, la rue Basse-des-Ursins-Saint-Landry, au XVIIIe siècle la rue d’Enfer (du mot inferior, significatif de son tracé en contrebas), au XIXe siècle la rue Basse-des-Ursins et finalement en 1881, la rue des Ursins. Son débouché dans la rue d’Arcole, formée en 1837 a disparu lors de l’élargissement de celle-ci en 1865 mais il est encore reconnaissable au N° 21 où on lit toujours la vieille inscription.

Extrait du Plan de l’île de la Cité, par Scotin – BnF

Mes ancêtres qui y demeurèrent

Nous sommes dans la partie de la rue des Ursins qui s’appelait, au XVIIIe siècle, la rue d’Enfer. Un placard annonce le décès de Marie Angélique ARNAUD, décédée en sa maison, épouse de Claude Joseph MESLE. Son inhumation est annoncée pour le 25 novembre 1785, en l’église de Saint-Landry.

Ce qui m’avait étonnée dans ce placard, c’est qu’il n’y a pas de mention de membres de la famille qui invite à cette cérémonie. J’en ai trouvé la raison dans son inventaire après décès, en date du 5 décembre 1785. Il est fait à la requête de Claude Joseph et à celle de leur fils unique, Jean Baptiste Marie Joseph. Mais je découvre que celui-ci n’est pas présent car il est « demeurant à Senlis, pensionnaire de l’ordre du Roi, en la maison de Messieurs les religieux de la Charité de ce lieu ». Il est « représenté par François ARNAUD, l’un des premiers commis des Ponts et chaussées, fondé de la procuration speciale […] passée devant M(aîtr)e DESPRES et son confrère notaires du Roi à Senlis, le premier décembre« . Jean Baptiste Marie Joseph est habilité à se porter seul et unique héritier de sa mère. François ARNAUD est son oncle.

Je me suis bien sûr demandé ce que signifiait « un pensionnaire de l’ordre du Roi ». J’ai trouvé depuis beaucoup d’informations. Les  » pensionnaires d’ordre du roi «  n’étaient pas des prisonniers, condamnés par procès, mais étaient détenus suite à une lettre de cachet du roi. La procédure est lancée à la réception d’un placet, adressé par la famille pour dénoncer le comportement d’un individu et réclamer son enfermement. Une des raisons majeures incitant les familles à demander l’enfermement d’un parent était de « prévenir les suites fâcheuses de dérèglements », dans la crainte que son inconduite l’amène à commettre un délit justifiant sa traduction en justice, apportant le déshonneur sur la famille. C’était une façon de renforcer l’autorité parentale mais aussi d’avoir un rôle de régulation sociale. Le placet résulte de la tenue d’une assemblée de parents qui montre l’union et la solidarité de toute la parenté autour de la demande commune de lettre de cachet. Une enquête, dans la famille mais aussi dans le quartier, était alors faite par la police pour s’assurer de la véracité des dires. La requête obéit à des règles précises : elle doit mentionner la maison de force choisie, le montant de la pension que les parents s’engagent à verser et comporte impérativement les signatures des plus proches parents. Mais, à partir des années 1770, les demandes d’enfermement étaient plus souvent pour aliénation que pour inconduite. Cela était aussi lié à l’évolution de la perception de la folie comme maladie qui pourrait être soignée. Les médecins s’intéressent de plus en plus aux « malades de l’esprit ».

Alors bien sûr je m’interroge sur ce qui a pu amener Claude Joseph et son épouse à faire une telle démarche pour faire enfermer leur fils. Celui-ci avait-il des comportements répréhensibles ou bien souffrait-il de problèmes d’ordre psychiatrique ? Je n’en saurai sans doute jamais rien. Mais ce que j’ai découvert et m’a réconfortée, c’est que la « maison de force », choisie par les parents est l’une de celles où les « pensionnaires » sont le mieux pris en charge. J’ai trouvé beaucoup d’informations sur la Charité de Senlis, fondé, 1668, par des religieux de l’Ordre de Saint-Jean-de-Dieu, qui a été un exemple dans l’évolution de la prise en compte de la santé mentale.

Mais, après avoir découvert tout cela, j’ai ressenti combien Claude Joseph devait avoir le cœur lourd, d’avoir perdu son épouse et de ne pas avoir son fils auprès de lui dans ce moment douloureux. Beaucoup d’interrogations sur son avenir et de tristesse d’avoir été obligé de le placer devaient peser sur lui. Alors, je n’ai pas voulu le laisser seul à inventorier tout ce qui a fait sa vie et je me suis glissée à la suite du notaire.

Nous sommes d’abord descendus à la cave, dans laquelle se trouvaient « quatre vingt bouteilles de gros verre pleines de vin rouge cru de Macon » puis montés au grenier où il y avait « trois voies de bois neuf également scié en deux ». Il y a de la réserve pour chauffer la maison, sachant qu’une « voie » est la quantité de bois qui pouvait être livrée en une seule fois par une charrette, soit environ deux stères, ou sept-cent-cinquante kilos ! Par contre, je m’étonne que le bois soit stocké dans le grenier, quel travail ! La cuisine qui a vue sur la rue me paraît bien équipée avec notamment des ustensiles en cuivre, en étain et en fer blanc. S’ensuit une pièce, « servant de chambre à coucher à la cuisinière qui avait un fauteuil, une couchette en bois de hêtre avec un matelas de laine couvert de toile, des couvertures de laine et un traversin rempli de plumes. » Nous avons poursuivi dans une petite salle à manger avec vue sur la cour qui m’a parue très agréable avec « ses rideaux de siamoise jaune et blanc, sa table de six couverts en chêne et ses chaises de paille, un buffet à deux corps, en bois de chêne, peint en jaune dans lequel sont rangés une soupière et trois plats de terre blanche facon d’Angleterre, quatre douzaines d’assiettes, un compotier, […], deux petites jattes de porcelaine, deux caraffes à eau, un porte huilier et deux burettes, un petit réchaud de table. »

Puis nous pénétrons dans un antichambre, sur les murs duquel se trouvent « trois morceaux de tapisserie verdure, trois tableaux peint sur toile dans leurs bordures de bois doré, deux trumeaux de cheminée avec glaces ». Nous arrivons ensuite « dans un salon et chambre à coucher ayant vue sur la rivière, ayant une cheminée avec un trumeau à deux glaces dans leurs bordures de bois doré, quatre chandeliers avec une partie en cuivre argenté, une vieille table, couverte de drap vert, une autre petite table et un chiffonier de merisier, une pendule sans nom d’auteur mais cependant belle avec son cadran de cuivre à cartouche d’émail, sonnant les heures et demi heures, dans sa boîte avec son pied de marqueterie, un fauteuil en cabriolet de bois peint en gris foncé couvert de damas cramoisi, […] des rideaux de taffetas cramoisi dont hélas une partie déchirée deux autres de rideaux de vieille indienne, deux tableaux de dessus de porte peints sur toile dans leurs bordures dorés. »

« Dans une alcove étant dans la pièce, un vieux paravent à six feuilles couvert de papier, un vieux coffre bahut couvert de cuivre, une armoire de bois de chêne, garnie de tiroir, une vieille table de nuit de bois de hêtre, une vieille chaise de commodité avec son seau de fayance, trois tableaux à estampe sous verre. Une couchette de trois pieds de large garni de son … de bois de hêtre, une paillasse de grosse toile quatre matelas de laine couvert de toile à carreaux et futaine, un lit, un traversin et un oreiller de coutil rempli de plumes, deux vieilles couvertures de laine blanche, un vieux couvre pied piqué couvert de satin, la housse dud lit en baldaquin composé de son ciel […], deux grands rideaux d’indienne à colonnes et a fleurs, un petit trumeau de trois glaces, « 

Nous arrivons dans le Cabinet de Claude Joseph, avec vue sur la rivière et là, je m’arrête, complètement ébahie ! Une bonne partie des murs est couverte par « sept compartiments de bibliothèque complètes de neuf montants et quarante huit petites tablettes en bois de sapin peint en gris ». Et je comprends pourquoi un personnage s’est joint à nous, c’est Jacques François Mérigot, libraire, demeurant boulevard Saint-Martin, qui est venu, estimer les livres. Il va lui falloir trois heures pour le faire, mais le temps est passé si vite pour moi. j’aurai voulu tous les regarder. À chaque pan de bibliothèque il a compté combien il y avait de livres, notant aussi leurs formats, principalement des in-douze et des in-octavo et en a cités, sur lesquels, il s’est plus particulièrement attardé. J’en ai profité aussi bien sûr et voilà quelques un de ceux que j’ai vus.

Il y a aussi Histoire des empereurs de Crevier. Il semble s’intéresser beaucoup à l’histoire, au théâtre, mais il y aussi des recueils de jurisprudence, sans doute en lien avec son métier de Premier commis aux consignations, deux Saintes Bibles et un « Traité de la Charité » mais aussi les « Mémoires et lettres galantes de Mme Du Noyer » et toute une collection de livres du Mercure de France. Au total, le libraire a comptabilisé, 1 408 livres dans les premières bibliothèques plus 434 autres de moindre valeur, dans un cabinet attenant, ce qui fait un total de 1 842 livres pour une valeur totale de 987 livres (j’ai calculé ça fait 10 611 euros) ! J’ai déjà découvert quelques livres dans les inventaires de mes ancêtres parisiens, mais là autant, quelle surprise !

Je me suis tellement plu dans ce cabinet qui semble être son domaine privilégié que j’ai envie de vous raconter ce qu’il y a dans cette pièce. Pour attraper les livres en hauteur,« une échelle en marchepied à quatre marches » et puis « un trumeau de cheminée de deux glaces, dans son parquet de bois blanc avec ornement sculpté doré, quatorze tableaux d’estampes sous verre, dans leur bordure de bois doré, quatre autres petites estampes en médaillon représentant des portraits [sans doute de famille, car ils ne sont pas estimés], une pendule sans nom d’auteur sonnant les heures et demi heures a cadran de cuivre et de velours dans sa boîte antique plaquée en écaille et son pied »;

Ressemblait-il à celui-là, datant du XVIIIe, trouvé sur internet ?

 » un secrétaire en forme de bureau a cylindre plaqué en bois des Indes garni de trois tiroirs par bas garni en dedans de six tiroirs et compartiments, un fauteuil et deux chaises foncées de paille, une petite table plaquée de bois des Indes demeurant sur ses quatre pieds, garnie d’un tiroir, un paravent à huit feuilles couvert en papier, une petite armoire en bibliothèque à deux volets fermant à clef, le tout de bois verni, un serre papier en bois de sapin à six compartiments » ;

Je n’ai pas trouvé de télescope Letellier et celui-là ne fait que 66 cm alors que 36 pouces = 97 cm !

Puis nouvelle grosse surprise en entrant dans un petit arrière cabinet : « un telescope de Letellier à Paris de trente six pouces de long la lunette de cuivre sur son pied aussi de cuivre, la lunette recouverte de chagrin ». Dans un autre arrière cabinet ayant pareille vue, un seau de fayance a laver les pieds, vingt petits tableaux, estampes sous verre dans leurs bords dorés, un petit bureau de bois noirci le dessus couvert de cuir noir, une autre petite table a ecrire de bois de noyer sur ses quatre pieds, quatre chaises foncées de paille […]; une pendule sans nom d’auteur sonnant les heures et demi heures a cadran de cuivre et cartouche d’email dans sa boite et sur son pied de marqueterie […] un parasol a dix branches monté en baleine de taffetas et deux autres parasols avec monture de baleine de taffetas vert ; trois tableaux dont deux peints en pastel, l’autre peint sur toile tous trois de forme ovale dans leurs bordures de bois doré, qui sont portraits de famille. »

S’ensuit « la chambre où couche led Sr Meslé dépendant de la maison appelée le petit Hôtel Chavigny » mais laissons le à son intimité. J’en profite pour parler de la précision ci-dessus qui permet de situer la maison où il demeure. Sur ce plan, on voit l’Hôtel de Chavigny, alors je me dis que le petit Hôtel de Chavigny, serait sans doute le bâtiment qui est, à gauche, au fond de la cour et qui jouxte la maison tout en longueur qui aurait bien, comme on l’a vu, au fil de la visite, vue sur la rue, puis sur la cour et enfin sur la rivière. L’inventaire ne dit pas à qui appartient la maison que l’on visite.

Bien sûr ensuite, c’est la présentation des deux garde-robes qui a été faite. J’aurai aimé vous décrire le raffinement et les variété des couleurs de leurs vêtements mais ce serait beaucoup trop long, comme de vous énumérer la liste de linge de ménage, l’argenterie et leurs bijoux. Je cite quand même pour lui « une montre du nom de Leroi et numérotée n° 1120 a cadran d’email marquant les heures et les minutes dans sa boete d’or bords gravés et cordon de soie, une autre montre au nom de François Joly a Paris n° 21 a cadran d’email marquant les heures et les minutes dans sa boete d’or ciselée et une tabatiere en forme carrée en coffre a trois rabats et triple charniere le tout d’or le dessus uni et a bord gravé pesant cinq onces deux grosses quinze grains » et pour elle « une tabatière à usage de femme de forme ovale à charnière le tout d’or ciselé à la cartouche d’émail ». L’ensemble de ces quatre objets estimés à 605 livres (= 6 500 euros) ! Je n’ai pas encore eu le temps de chiffrer la totalité de l’inventaire.

Je vais quitter Claude Joseph que cet inventaire si riche et son histoire douloureuse m’a rendu très attachant. Je l’imagine lisant dans son fauteuil ou se mettant à sa fenêtre, donnant sur la rivière qui lui offre une vue dégagée sur le ciel étoilé de Paris, à cette époque. Avec son télescope, il peut se plonger dans l’immensité de l’univers pour oublier ses tracas et attendre que son fils revienne, apaisé, ayant surmonté ses difficultés. Il sera encore en vie à son mariage, avec Pierrette HUGOT. Peut-être y a-t-il contribué ? Ce n’était sans doute pas facile de trouver une épouse, après un séjour comme pensionnaire sur ordre du roi. Alors j’ai l’intuition que Pierrette vient d’ailleurs et, même si c’est hasardeux, je me dis que ce pourrait bien être Jeanne Pierrette HUGOT qui m’a interpellée, sur Geneanet, parce qu’elle est native de Besançon, lieu de naissance de Claude Joseph où celui-ci a peut-être gardé des liens. Elle est née en 1773, de père inconnu. Ma Pierrette est née vers 1768, selon son âge au décès, donc ce n’est pas impossible. Je n’ai rien trouvé d’autre concernant Jeanne Pierrette de Besançon, alors… je veux bien l’adopter, jusqu’à preuve du contraire. Claude Joseph aura aussi le bonheur de connaître, pendant quelques années, son unique petite-fille, Adélaïde Marie Etiennette, née vers 1793, avant de rejoindre son épouse, le 8 mars 1803 où il décède, 13 rue de Malte dans le 11e arrondissement. Je ne sais combien de temps, il a vécu dans cette maison rue d’Enfer qui m’a beaucoup plu. Avant d’habiter dans sa dernière demeure, il était au 56 boulevard du Temple, dans le 3e arrondissement.

Sources

Jacques HILLAIRET, Dictionnaire historique des rues de Paris, tome 2, Les Editions de Minuit, 1963

Goulven KERIEN, Pour l’honneur des familles : les enfermements par lettres de cachet à Paris au XVIIIe siècle, Edition Champ Vallon, 2023

Dr Hélène BONNAFOUS-SERIEUX, La Charité de Senlis : une maison d’aliénés et de correctionnaires au XVIIIe siècle, Presses Universitaires de France, 1936

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