Un premier article pour inaugurer le défi #rameauxcachés. Ces ancêtres ne sont pas perchés très haut dans mon arbre mais ils étaient bien cachés sur ma seule branchette du Calvados.
Entre La Cambe et Vouilly
Ces deux villages, proches d’Isigny-sur-Mer, sont séparées par les marais de la vallée de l’Aure et vivent au rythme de ceux-ci. Jusqu’au travaux d’aménagement du XVIIIe siècle, le flot de la marée, arrivant par la baie des Veys, remontait largement dans les rivières. En période de hautes eaux, leur lit ne suffisait pas et la plus grande partie des zones basses des marais était sous l’eau. La crue pouvait durer dix mois de l’année, accompagnée d’épais brouillards. Puis le limon, laissé sur le marais par la décrue des eaux, provoquait des exhalaisons, accusées de provoquer toutes sortes de fièvres, fatales à nombre de paroissiens. C’est en 1731, que l’évêque de Bayeux, a fait équiper les deux bras de l’Aure, à Isigny-sur-Mer, de ponts-écluses et de portes à flots. Ces travaux ont permis d’assainir les marais.

Ces communes riveraines des marais, appelés « bas-pays », s’opposent au « haut-pays ». Cette distinction topographique est aussi économique. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le « haut-pays » correspondait aux terres cultivées alors que le « bas-pays » était le domaine de l’élevage avec complémentarité entre cultures vivrières (notamment le sarrasin dont on faisait galettes et bouillies) et produits de l’élevage pour la subsistance des hommes. Au XVIIIe siècle, le Bessin s’est spécialisé dans l’élevage bovin avec le développement de grandes fermes-manoirs. Les marchands d’Isigny, expédiaient, par cabotage, le beurre salé (le port d’Isigny ayant le droit de franc-saler), vers Rouen ou Paris. Mais mes ancêtres devaient plutôt habiter dans l’une des petites maisons, typiques des marais, construites en « mâsse », mélange de terre argileuse, d’eau et de fibres végétales, avec des toits de chaume.
Gilles MARTIN
Ses parents, Nicolas MARTIN et Marie LEVERRIER se sont mariés, à La Cambe, le 10 octobre 1683. Mais l’acte de mariage ne nous dit rien sur leurs parents, ni sur leurs métiers et aucun des témoins ne porte leur patronyme.

On découvre que ni l’un ni l’autre ne savent signer et que l’époux est de Maisy. Les registres paroissiaux de cette commune commençant en 1647, j’ai eu espoir d’y trouver l’acte de naissance d’un Nicolas MARTIN. Mais Le Cercle Généalogique du Calvados qui a dépouillé cette commune n’en a pas recensé, à cette époque, et ne mentionne que deux naissances pour ce patronyme, issues de deux couples différents.
Gilles vient au monde, à La Cambe, le 10 décembre 1684. Là encore, l’acte nous dit peu de choses. C’est le seul enfant du couple que j’ai retrouvé. Ce qui me laisse penser que l’inhumation d’une Marie LEVERRIER, le 14 juin 1686, à La Cambe, est celui de sa mère, bien qu’elle ne soit pas dite femme de Nicolas MARTIN et que je n’ai retrouvé ni le remariage, ni le décès de celui-ci dans les villages avoisinants ou à Maisy. Gilles est donc un tout jeune enfant quand il est perd sa mère.
Catherine LEFEBVRE
J’ignore quand et où se sont mariés ses parents, Jacques LEFEBVRE et Anne LEBARBIER. Le couple donne d’abord naissance à un fils, Henry, vers 1673 mais sa vie s’achève bien vite, le 30 novembre 1677, à Vouilly. Quelques mois plus tôt, le 3 janvier 1677, Anne accouche de Magdeleine. Je n’ai pas trouvé son mariage mais c’est sans doute elle qui est inhumée, âgée d’environ 25 ans, le 23 mai 1704.
Catherine est portée sur les fonds baptismaux de Vouilly, le 30 avril 1679, par Nicolas et Anne LE RISLE, frère et sœur avec lesquels je ne trouve pas de lien de parenté. Hélas, Catherine n’a que sept ans, quand sa mère décède, le 14 juin 1686. J’ai été émue par la funeste coïncidence qui a fait que Gilles et Catherine ont été privés, bien jeunes et le même jour, de l’amour maternel ! Ce double chagrin a pu les rapprocher.
J’ai découvert le mariage d’un Jacques LEFEBVRE, le 4 février 1687, avec Marguerite DELAPORTE. Il n’est pas dit que l’époux est veuf mais il est fort plausible qu’il s’agisse du remariage de mon ancêtre après le décès de son épouse. Pour m’en assurer, je me suis lancée dans la recherche des enfants de ce couple, pour y trouver des indices (parrains, marraines, témoins…) pour confirmer mon hypothèse. J’ai trouvé six actes de baptêmes, tous à Vouilly.
- Marie, le 15 septembre 1687, nommée par Louis LEFEBVRE et Marie PLANCHON
- Marie, le 4 janvier 1690, a pour parrain et marraine, Charles MAGDELEINE et Marie LETELLIER
- Suzanne, le 2 novembre 1692, nommée par Jacques LEFEBVRE et Suzanne LEROY
- Philippe, le 30 novembre 1695, porté sur les fonds baptismaux par Philippe de MONTFIQUET et Marie GOSSELIN
- Marcel, le 20 décembre 1699, nommé par Marcel LEFEBVRE et Claude GAULTIER
- Jacques, le 22 octobre 1702, a pour parrain Jacques et Elisabeth POUTREL, frère et sœur
Ces naissances apportent peut-être des renseignements précieux, avec trois parrains, sans doute de la famille. Mais malheureusement, les liens de parenté ne sont pas mentionnés. J’ai donc poursuivi ma quête en cherchant les mariages de ces enfants. J’ai d’abord trouvé le mariage de Suzanne, le 25 juillet 1719 avec François DAVID et là, belle surprise !

Parmi les témoins de l’épouse, il y a son frère Philippe, Jacques LEFEBVRE, cousin et… Gilles MARTIN, beau-frère ! Voilà la preuve que je cherchais ! On retrouve plus tard, Gilles, témoin, mais sans mention de parenté, au mariage de Marcel, le 2 août 1728, ainsi que Jacques, frère de l’époux et Pierre LEFEBVRE, cousin.
Ma Sosa Catherine LEFEBVRE est donc la demi-sœur de Suzanne et c’est bien mon ancêtre Jacques LEFEBVRE qui s’est remarié et a eu neuf enfants. J’ai trouvé un seul acte de décès d’un Jacques LEFEBVRE qui pourrait lui correspondre, le 5 janvier 1714. Il est dit âgé d’environ 80 ans et serait donc né vers 1634. Et comme le second mariage précise que Jacques LEFEBVRE est fils de Jacques me voilà avec un ancêtre de plus !
Mais j’ai eu envie d’étoffer un peu cette famille LEFEBVRE. Qui sont Louis et Marcel , les parrains ? J’ai cherché leurs naissances et mariages et, coup de chance, il n’y a qu’un Louis et un Marcel qui peuvent correspondre aux baptêmes de 1687 et 1699.
- Louis LEFEBVRE épouse Charlotte GISLOT, à Vouilly, le 11 septembre 1691. Il est le fils de Henry qui est présent. Ce couple a dix enfants dont un fils, le 15 octobre 1702, prénommé Jacques dont le parrain est sans doute mon ancêtre. Louis décède probablement le 16 octobre 1713, âgé de 58 ans, donc né vers 1655.
- Un Marcel LEFEBVRE est né le 4 août 1675, fils de Henry et de Jacqueline LEBARBIER. Cet acte est au tout début du registre de Vouilly. Il est suivi par François, en 1678 et Gillette, en 1682. Louis ci-dessus serait-il aussi de cette fratrie ? Henry décède, sans doute, le 27 juillet 1705, âgé de 68 ans, et est donc né vers 1637. Il aurait alors eu Louis vers 18 ans, ce qui est possible, au vu des dates approximatives aux décès.
Il est donc fort plausible que cet Henry LEFEBVRE, né vers 1637, soit le frère de mon Jacques, né vers 1634 et fils de Jacques. Les parrains, Pierre et Marcel, seraient donc les cousins des baptisés. C’est cohérent au niveau des dates. Et il serait bien possible aussi que les deux frères LEFEBVRE aient épousées deux sœurs, Anne et Jacqueline LEBARBIER... J’ai cherché aussi le cousin, Jacques LEFEBVRE. Il est peut-être le Jacques, fils de Pierre mais serait alors un cousin issu de germain. Pour confirmer cela, il ne me reste plus qu’à aller fouiner dans les actes notariés qui existent peut-être, pour cette période, aux AD du Calvados qui sont à 30 mn de chez moi…
Leur rencontre et leurs enfants
Après ce long détour sur l’ascendance de Catherine, revenons à nos amoureux… L’acte de mariage de Gilles MARTIN et Catherine LEFEBVRE, à Vouilly, le 20 avril 1708, nous apprend que les fiançailles ont été célébrées au village voisin de Colombières. Est-ce là que Gilles et Catherine se sont rencontrés ? Peut-être travaillaient-ils tous deux dans ce village ?

L’acte nous révèle que Catherine ne sait pas signer mais que contrairement à son père, Gilles a appris à lire et écrire comme l’atteste sa signature affirmée. Mais il n’y a aucun témoin qui permettrait de mieux connaître la famille MARTIN.
Le mariage a sans doute été un peu précipité, par la grossesse de Catherine, car deux mois plus tard, elle accouche, à Vouilly, de leur première fille, Elisabeth, le 18 juin 1708. Elle est baptisée par Michel et Elisabeth VIOLETTE, frère et sœur. Je les ai identifiés et ai retrouvé leurs mariages mais je ne vois toujours aucun lien avec mes ancêtres.
Puis ensuite, ils déménagent de l’autre côté du marais et c’est à La Cambe qu’auront lieu les naissances suivantes. Sont-ils partis en bateau sur les marais « blanchis » ou bien par la route, beaucoup plus longue puisqu’il faut passer par Isigny-sur-Mer pour contourner le marais ? Je ne sais malheureusement pas dans quel hameau était leur maison et ne sait toujours rien de leurs métiers.
- Jeanne qui deviendra mon ancêtre voit le jour le 8 mars 1711. Son parrain et sa marraine sont Jean BOURGUET et Jeanne SIMEON, mariés depuis peu.
- Marin naît le 20 mai 1714, portés sur les fonds baptismaux par Marin DANIEL et Marie LEMARCHAND, conjoints.
- Jacques naît le 17 mai 1717 et j’ignore ce qu’il est devenu.
- Philippe est baptisé le 2 novembre 1721, par Philippe LEFEBVRE, sûrement son oncle paternel et par Françoise DANNEBE. Il décède à 17 ans, le 15 avril 1739.
Gilles et Catherine auront la joie de marier et même de remarier trois de leurs enfants. Elisabeth épouse Noël DALEST, à La Cambe, le 4 octobre 1729 puis s’y remarie, le 28 novembre 1744, avec Olivier LENOIR et décède le 25 décembre 1788. Marin se marie à Monfréville, le 8 novembre 1735 avec Marie LEFEBVRE et se remarie le 30 mai 1752 avec Catherine VILLIERS à Vouilly. C’est le seul dont le métier est mentionné, il est journalier puis charpentier. Gilles et Catherine vivent jusqu’à 75 ans, elle quitte ce monde le 10 décembre 1754 et lui décède, le 11 décembre 1759.
Et cette branchette du Calvados ne descend pas plus bas pour moi, puisque leur fille, Jeanne va poursuivre sa route vers d’autres marais, ceux du Cotentin, avec Nicolas ROUY qu’elle épouse le 4 septembre 1742, à Isigny-sur-Mer. Qu’était-il venu faire là, à 30 km de chez lui ? Je ne m’attendais pas à trouver ici, ce mariage, longtemps cherché dans la Manche.
En conclusion de ce rameau caché
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces patronymes sont bien communs. Et pourtant si MARTIN est le nom le plus porté en France, parmi mes ancêtres, je n’ai que cette branchette et une autre, pas plus longue, dans le Var. Et c’est la même chose pour les LEFEBVRE que je ne retrouve que sur un petit rameau, en Mayenne. Quant aux LEVERRIER et LEBARBIER, je n’en ai pas d’autres.
Ce qui est particulier à cette branche, ce sont justement ces patronymes, LEFEBVRE, LEVERRIER et LEBARBIER qui évoquent tous les trois des métiers. Si je ne sais rien du travail de mes ancêtres que l’on vient de voir, je peux au moins me dire que, dans des temps plus anciens, certains de leurs parents ont dû être forgerons, LEFEBVRE venant de faber (forgeron en latin), quand d’autres ont pu fabriquer du verre ou créer des vitraux, ou d’autres tailler des barbes, métiers dont leur sont venus, leurs noms de famille.
Sources
- Le Cercle Généalogique du Calvados qui m’a beaucoup aidé à approfondir ce rameau, grâce à ses relevés
- « Sites et valeurs de nos marais », de Gérard TAPIN, livre dans lequel on retrouve les communes de Vouilly, La Cambe, Colombières…
Très belle recherche ! Bravo !
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Vive les challenges qui nous incitent à revoir les branches peu étoffées.
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