M comme… MOREAU

Avec cet article, on reste à Léognan, découvert hier, au cœur des Graves dont j’ai parlé ici, avec trois générations de vignerons. L’occasion de découvrir avec eux le calendrier de leurs travaux.

Jean MOREAU, sosa 202

Je vous l’ai déjà présenté hier, c’est le seul des gendres de François LAFEYCHINE qui est vigneron. J’ignore malheureusement quand il est né, fils de Guillaume MOREAU, vigneron et de Marie LIN. Il adonc épousé Catherine LAFEYCHINE, le 1er février 1763.

Je ne leur ai trouvé que trois enfants.

  • Marie, mon ancêtre, très vite conçue après le mariage, naît le 21 décembre 1763. Elle épouse, le 23 avril 1788, à Gradignan, village voisin, Jean DUPUCH, tonnelier.
  • Guillaume vient au monde le 24 janvier 1767 mais, hélas, il décède le 10 mai 1792, âgé de 25 ans sans avoir eu le temps de se marier.
  • Matthieu voit le jour, le 10 octobre 1770 et se marie, le 16 juin 1793, avec Catherine LAURENT. Il est dit alors vigneron. Ils ont en 1794 un fils Jean qui sera soldat de l’armée Napoléonienne en 1813.

Je n’ai pas trouvé le décès de Jean mais le décès de Catherine, le 23 février 1820, révèle un détail intéressant. Elle demeurait au hameau de Bicon et je découvre, sur la carte de Cassini, que juste à côté, il y a un hameau Moreau. Cela permet de penser que l’implantation de la famille MOREAU est ancienne et qu’elle devait y être ou avoir été propriétaire.

Extrait de la Carte de Cassini – Gallica-BNF
Extrait du tableau d’assemblage du Cadastre napoléonien de Léognan – AD 33

Si j’ai retrouvé le hameau Bicom sur le Cadastre napoléonien de 1846, par contre je n’ai pas retrouvé Moreau ni sur la commune voisine de Villenave d’Ornon. C’est bien dommage…

Guillaume MOREAU, sosa 404

Il vient au monde le 21 août 1712, fils de Guillaume, vigneron et de Gratianne BASQUE. Le 24 novembre 1733, la fête a dû être belle, en ce jour de noces où Guillaume épouse Marie LIN, née le 18 septembre 1715, fille de Pierre et de Jeanne RAMBAUD et où Abraham, son frère aîné, également vigneron, convole avec Jeanne LAULAN. Les pères des épouses étaient-ils aussi vignerons ? Je l’ignore, deux contrats de mariage ont été conclus mais malheureusement, les registres correspondants n’ont pas été conservés.

Guillaume et Marie ont donné naissance à onze enfants mais ont eu le chagrin d’en perdre quatre en bas âge, un à vingt ans et sans doute aussi leur troisième Catherine – ce prénom devait vraiment leur plaire ! – dont je n’ai trouvé ni le décès ni le mariage à moins que ce ne soit une erreur de relevé car l’acte n’est pas en ligne.

Guillaume n’a pu marier que ses trois aînés car il s’éteint, le 7 octobre 1781, âgé de 69 ans. Marie est de toutes les noces puisqu’elle vit jusqu’à 75 ans et décède, le 21 juin 1791. Les deux Jean sont vignerons de même que Jean LARRIEU et son père. Le père de Guillaume DUBOS est berger et Léonard HOSTEINS, laboureur.

Guillaume MOREAU, sosa 808

Je ne sais pas quand il est né ni qui sont ses parents mais je sais qu’il épouse Gratianne BASQUE, le 30 avril 1695, à Léognan. Hélas, l’acte ne mentionne ni leurs parents ni le métier de Guillaume. Je leur connais quatre enfants dont mon ancêtre Guillaume et son frère, Abraham qui se sont mariés le même jour.

J’ignore si Abraham est l’aîné de la fratrie, n’ayant pas son acte de naissance, ou si c’est Jeanne, née le 2 novembre 1705 pour laquelle, j’ai un très bel acte qui précise que son père est « brasseur de terre ». Dans quel sens faut-il entendre ce terme ? Est-ce un journalier ou une expression ancienne pour « laboureur » ? Je pencherai pour la seconde hypothèse puisqu’à la naissance de Guillaume, mon ancêtre, le 21 août 1712, est dit vigneron.

J’ignore ce que sont devenus Jeanne et Bernard. Guillaume n’aura pas vu ses deux garçons fonder une famille car il décède, le 17 août 1729. Gratianne va poursuivre sa vie, sans lui, pendant près de trente ans, sûrement soutenue par ses deux garçons. Elle quitte ce monde, âgée d’environ quatre-vingt ans, le 10 décembre 1758. Elle est donc née vers 1678 et n’avait que dix-sept ans à son mariage.

Les travaux de Guillaume, au fil des saisons

A force de parcourir la carte de Léognan, je me retrouve tout d’un coup au milieu d’un vignoble où Guillaume le Jeune est penché sur un cep de vigne. J’ai tellement envie de lui demander de m’expliquer les différentes étapes de son travail que je m’approche timidement de lui. Il est un peu stupéfait quand je lui annonce que je suis une de ses très lointaines descendantes mais, sans façon, il se prête à mes questions.

  • Bonjour Guillaume, j’aimerai que tu me racontes ton travail.
  • Volontiers, mais que veux-tu savoir ?
  • Et bien j’aimerai déjà que tu me racontes comment tu as appris à t’occuper des vignes.
  • Oh, ben tu sais, quand on a un père et un grand-frère qui sont vignerons, dès qu’on sait marcher, on les suit au vignoble et on observe comment ils font et à « voir-faire », un jour on sait et on peut les aider, puis prendre la relève
  • Et, il y a des travaux, toute l’année ?
  • Ah, pour sûr, c’est un métier de dur labeur. Dès le mois de février, on travaille la terre, à la houe, et puis on étale de la fumure. On a de la chance, les parents de ma belle fille Catherine, sont bergers. Ils amènent les moutons dans nos vignes. Leurs bêtes se régalent tout en nous aidant à désherber et au passage, elles laissent leurs crottes.
Façons de la vigne avec une houe à lame triangulaire —
Stuttgart, Württ. Lanesbibl., Fol. 23, f° 96 v°. (1)
  • Chez chouette, du bon fumier pour pas cher !
  • Pardi, faut s’entraider pour y arriver ! Après, on creuse des fosses pour y planter de nouveaux plants.
  • Je suis étonnée, je croyais que les rangs de vignes étaient tous droits mais ce n’est pas le cas, ça part un peu dans tous les sens.
  • Ben oui, c’est parce que pour renouveler les ceps, on les provigne.
  • Alors là faut que tu m’expliques parce que je ne comprends pas ce mot.
  • Provigner une vigne c’est multiplier les ceps de vigne par marcottage. On couche une branche de vigne en terre après avoir pratiqué une entaille pour qu’elle prenne racine et forme de nouveaux rejetons. On fait cela pour regarnir une vigne ou remplacer des ceps manquants. On peut aussi en faire à partir d’une même souche, on a alors une disposition « en foule » des pieds dans la parcelle et celle-ci devient plus dense. C’est pas grave, on ne vient jamais dans les vignes avec une charrue, on n’en a pas, c’est à bras qu’on travaille. Mais on renouvelle aussi les ceps par bouturage de sarments.
Exemples de provignage et de marcottage de la vigne, décrits par Foex (1887) et Guyot (1865) – (3)
  • Ah, là, je comprends mieux maintenant de quoi tu parles ! Et quand est-ce que tu tailles la vigne ?
  • Tu vois ma serpe, c’est avec elle que je taille. Je m’en sers de deux façons : avec le taillant, je taille les branches à fruit et avec le talon, je supprime des parties mortes du cep.
Trois modèles de serpes (2)
  • Je taille, une première fois à l’automne, après les vendanges mais la taille la plus importante, c’est la taille sèche, à la fin de l’hiver ou au début du printemps. Après la taille, on ramasse les sarments coupés pour en faire des fagots que l’on utilisera dans le four ou la cheminée. Ce travail-là, c’est souvent ma femme et mes filles qui le font. Elles me suivent en rassemblant les sarments avant de lier les fagots. Une fois le travail terminé, elles les emportent sur l’épaule.
Mars : la taille de la vigne, dans les Heures dites « de Chappes », de Jean de Montluçon, Bourges, vers 1490, Arsenal Ms 438, folio 3. Bibliothèque de l’Arsenal, Paris. – BnF
  • Cela doit être dur, j’en serai bien incapable !
  • Tu sais, la vigne a besoin de tous les bras de la famille, à chacun son travail selon sa force.
  • Le plus dur c’est les façons que l’on doit faire plusieurs fois dans l’année.
  • C’est quoi les façons ?
  • C’est le travail de la terre. Pour améliorer la croissance, la terre est remuée en profondeur, puis en surface, afin de détruire les parasites ; les pieds des ceps sont déchaussés et chaussés successivement. On pratique plusieurs façons. La première s’effectue en général juste après la taille, en mars ou en avril ; à la deuxième, moins profonde, en mai, les tiges déjà longues et encore fragiles risquent d’être cassées. On peut aussi repasser durant les mois de juillet et août, suivant les années.
  • Une fois les façons terminées, on plante les échalas qui, chaque année, sont arrachés et triés. Ceux qui sont en bon état, on les conserve après les avoir aiguisés et on en prépare de nouveaux tout au long de l’hiver. Les échalas plantés, les branches fruitières sont courbées et attachées avec un brin d’osier. Ce sont souvent les femmes qui sont chargées de ce travail minutieux.
Travaux de la vigne
(La vie des villageois au XVIIIe siècle G. Thoquet).
  • Ah pour ça, je me sentirai plus apte à t’aider ! Et après tout ce travail, tu dois avoir hâte de voir les premières feuilles s’annoncer.
  • Oh, c’est sûr, c’est au mois de mars, le débourrement, quand les bourgeons commencent à gonfler. Les premières feuilles apparaissent, la vigne sort de son sommeil. Mais on a toujours peur que des gelées surviennent et en avril aussi. Mon père m’a raconté le « grand hiver » de 1709 qui a gelé les vignes et même le vin dans les muids. Ça été une terrible année pour les vignerons.
  • Au mois de mai, j’ai aussi un nouveau travail minutieux, retirer les pousses superflues. Cela permet d’aérer la vigne et de laisser la lumière arriver sur les grappes en formation. Et puis vient le mois de juin et la floraison, là on espère que les abeilles vont bien faire leur travail. Mais là, il faut surveiller les plantations, des ennemis qui peuvent détruire nos récoltes et alors, on ne sait trop que faire.
  • Ah oui, je sais, c’est le phylloxera qui détruit les vignes !
  • Le quoi ? Je ne vois pas de quoi tu parles.
  • Ah, oui, c’est vrai cette maladie de la vigne est une maladie cryptogamique, c’est à produite par des champignons qui n’est apparue qu’à partir de 1850 et a détruit complètement des vignobles, tu n’as donc heureusement pas eu à en souffrir.
  • C’est terrible ce que tu me racontes, que serions-nous devenus si nous avions connu ce fléau ! Ce qui attaque nos vignes, ce sont des larves de plusieurs insectes. Je ne connais pas leurs noms mais il y en a un que l’on appelle le « faiseur de cornets » qui attaquent les feuilles, vers le mois de juin, en les roulant en cornets pour y pondre leurs œufs. Je suis alors obligé de les combattre en arrachant les feuilles roulées avant que les vers ne sortent et ne mangent les feuilles. Et puis certaines années, l’ennemi des vignes, c’est le manque d’eau, comme en 1726 où il a fait très sec. J’avais quatorze ans et je me souviens bien de la grande inquiétude de mon père.
  • Et après, tu n’as plus qu’à attendre que les raisins grossissent et mûrissent ?
  • Oui, c’est la nouaison et après, il y aura la véraison.
  • Oh la la, encore des mot que je ne connais pas !
  • La nouaison, c’est en juillet quand les fleurs se transforment en petits grains de raisin. Il faut bien surveiller et puis enlever quelques feuilles pour faciliter la maturation. Et la véraison, en août, c’est quand les raisins commencent à changer de couleur et les sucres commencent à se concentrer dans les baies. Et puis viens septembre, le mois des vendanges…
  • Attends avant de continuer ! J’ai déjà beaucoup de choses à retenir pour m’imprégner de tous les travaux que tu fais tout au long de l’année. Je te remercie beaucoup de m’avoir accordé ce moment précieux pour moi. Comme cela, je pourrai le raconter, à mon tour. Si tu veux bien, je reviendrai te voir au moment des vendanges pour que tu me fasses partager cet aboutissement de tout votre travail et la fête qui s’ensuit.
  • Avec plaisir, Hélène, j’ai bien aimé partager avec toi, mon savoir-faire, cela ne m’arrive pas souvent. Je n’aurai jamais pas pensé qu’un jour, cela aurait pu intéresser ma très très lointaine petite-fille.

Sources

« Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français », Marcel LACHIVER, Fayard

(1) « L’iconographie du travail viticole en France et en Italie, du XIIe au XVe siècle », par Perrine MANE

(2) « Sacrée vigne, les outils des vignerons et leur histoire », Philippe BERARD et Michel BOUVIER

Calendrier et cycle de la vigne

(3) « Provignage et marcottage de la vigne », Institut français de la vigne et du vin

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