B comme… rue du Bac

Au fil du temps…

La rue du Bac est une voie située dans le 7e arrondissement, Paroisse Saint-Sulpice. Elle doit son nom au bac établi vers 1550 qui transportait au XVIe siècle, depuis Vaugirard, les blocs de pierre destinés à la construction du palais des Tuileries afin que ceux-ci n’aient pas à traverser Paris.

La rue est très longue. Extrait du Plan Lutetia, Paris, 1652, BNF, département Cartes et plans.
Le Pont rouge – Dessin à la plume et encre brune, 17e – BNF

Après avoir assisté à un accident du bac, au cours d’une promenade, Louis XIII décida la construction d’un pont à cet emplacement. En 1632, un pont en bois à péage est construit, appelé « pont Sainte-Anne » (en référence à Anne d’Autriche), « pont Rouge » (en raison de sa couleur). Fragile, ce pont de quinze arches sera réparé plusieurs fois, puis refait avant d’être incendié en 1654, emporté par les eaux en 1656. Le pont est reconstruit en 1660 en bois, consolidé en 1673 mais emporté par les glaces, dans la nuit du 28 février 1684.

Construction du Pont royal – Livinius Cruyl, 1686 – BNF

Il est remplacé entre le 25 octobre 1685 et le 13 juin 1689 par un pont en pierre entièrement financé par le roi Louis XIV, ce qui lui vaut son nom de « pont Royal» qu’il a gardé depuis.

Il est vraiment dans l’axe de la rue du Bac, ce qui bizarrement ne semblait pas, d’après les plans, être le cas du Pont rouge, pourtant fait pour remplacer le bac.

Mes ancêtres qui vécurent rue du Bac

J’y ai rencontré Pierre TROUILLARD, maître tailleur d’habits puis Juré courtier en vin et Catherine DROUET, son épouse. Je ne sais pas grand chose sur eux, ni quand ils sont nés ni qui sont leurs parents. J’ai bien la date de l’inventaire après décès de Pierre, le 22 janvier 1697, qui m’aurait sûrement donné des indications, mais malheureusement ils ont passé leurs actes notariés devant Me PONYER dont les registres sont très lacunaires. Par chance, l’inventaire après le décès de Catherine, le 27 mai 1720, a été fait chez un autre notaire et j’ai donc pu le consulter. Mais il n’est pas fait mention de contrat de mariage. Tout ce que je connais d’eux, ce sont donc leurs enfants. J’ai longtemps crû qu’ils n’en avaient que quatre, deux garçons et deux filles, car sur l’enregistrement de leur testament mutuel, en 1695, sont cités François, Pierre, Marguerite et Geneviève. Mais dans le testament de Marguerite, mon ancêtre, le 2 septembre 1733, je découvre que celle-ci a une autre sœur, Catherine, religieuse au « Couvent des dames religieuses cordelières de Douairon en Poitou », à qui elle lègue une somme de cent livres. Je ne sais rien d’autre sur cette sœur et n’ai pas réussi à localiser son couvent.

Mais revenons en arrière. En 1684, à son mariage, Marguerite, leur fille aînée, habite avec eux, rue Saint-Honoré. Mais le 30 septembre 1696, au mariage de leur fils Pierre, ils demeurent, ainsi que ce dernier, « rue du Bacq » (comme on l’écrivait alors). Ils y sont donc arrivés entre ces deux dates. Catherine signe cet acte alors que son mari déclare ne savoir.

L’inventaire après décès de Catherine, révèle que « le contrat de vente passé devant ledit PONYER et son confrère le treize aoust mil six cent quatre vingt huit par lequel Sr Francois VERDIER peintre ordinaire du Roy et dam(oisel)le Antoinette DUTAY son épouse ont vendu auxd(its) deffunctz Sr Pierre TROUILLARD et Catherine DROUET son épouse une maison scize quartier St Germain des prez rue du Bacq moyennant la somme de quatre mil livres dont deux mil livres sont payez comptant ensuite duquel est la quittance desd(its) deux mil livres restant ».

Pierre décède en janvier 1697, à cette adresse. Catherine est-elle restée, seule, dans leur maison, après le décès de son époux ?Toujours est-il que le 18 avril 1719, elle demeure rue de l’Arbre-Sec, comme le révèle un acte, par lequel elle loue pour cinq années à « Dimanche PINET et Marie RAVERA, son épouse. demeurant en la maison cy apres déclarée Paroisse Saint Sulpice […] une maison scize rue du Bacq faubourg Saint Germain proche les Missions estrangeres consistante en deux boutiques, trois estages de deux chambres chacun et grenier audessus, cour puis dans icelle, une petite ecurie et un jardin au bout de lad(ite) cour avec une treille ainsy que le tout se poursuit et comporte dont les(dits) preneurs sont contents pour y estre demeurant depuis longtemps moyennant la somme de cinq cent livres par chaque an ».

Cet acte nous apprend que Catherine a dû quitter sa maison depuis sans doute au moins cinq ans, durée probable du précédent bail. Il y a aussi une information bien intéressante, celle-ci est proche des Missions étrangères, qui se trouvent encore actuellement au N° 128, ce qui situe la maison dans la rue.

Reproduction in « Les Missions Etrangeres de Paris », Perrin. 1663

Le Séminaire des Missions étrangères est une maison de formation de prêtres missionnaires français à Paris. C’est en 1663, que se concrétise le projet d’un établissement spécifiquement destiné à la formation des candidats aux missions lointaines. La reconnaissance du Saint-Siège est accordée le 10 août 1664. Dans sa lettre patente approuvant la fondation du Séminaire des Missions étrangères, Louis XIV avait demandé que le Séminaire soit appelé le Séminaire pour la conversion des Infidèles dans les paÿs estrangers, mais c’est finalement le nom de Séminaire des Missions étrangères qui l’emporte. À partir de 1687, le séminaire héberge de plus en plus de jeunes aspirants qui ne sont pas encore prêtres « pour avoir le temps de mieux les former ». En 1700, il y a une trentaine de missionnaires, issus du Séminaire de la rue du Bac, en Asie.

Puis je découvre, sur le site des Archives Nationales, que le 23 juin 1721, a été faite l’« estimation par Pierre QUIROT d’une maison, rue du Bac au faubourg Saint-Germain, que les héritiers de défunte Catherine Droit, veuve de Pierre Trouillard, courtier de vins, mettent en vente par licitation. » Ce document n’était pas consultable, le registre étant en mauvais état, mais j’ai fait une demande exceptionnelle et j’ai eu l’heureuse surprise de recevoir les photos de cet acte dans la transcription duquel je me suis lancée. Il détaille très précisément la maison mais je ne vais en reprendre que la description du grand jardin qui m’a bien plu. Ensuite de la cour, on descend par une petite rangée de sept marches dans « le jardin contenant environ 25 toises de long (ca 48 m) sur environ 25 pieds de large (ca 8 m), dans lequel il y a quelques arbres fruitiers nains, un treillage d’eschallats d’un coté avec peschers, abricotiers, figuiers et septs de vignes en espalliers, des septs de vignes en contre, espalliers dans le millieu, et à l’autre costé et par le bout un berceau composé de perches et de cerceaux de bois ». Le locataire dont on nous dit qu’il est marchand de vin a contribué à cet aménagement, à ses frais.

Et ce qui est très intéressant, c’est que cet acte précise les propriétés qui entourent cette maison, la situant encore mieux. Et cela m’a aussi permis de découvrir la mise en place, à cette époque, d’un système de santé et de régulation sociale. Au début, il est précisé que « ladite maison est scituée susdite rue du Bacq, vis à vis le Seminaire estranger » d’une part et à la fin qu’elle est attenante « à droite en entrant à Mr. DUMONT, d’autre part à une maison dependante des Incurables, d’un bout par derriere à un jardin appartenant aux Petites Maisons, et par devant sur laditte rue du Bacq. »

Leur voisin, Mr DUMONT pourrait fort bien être François DUMONT, âgé de vingt cinq ans passés, sculpteur ordinaire du Roi, fils de défunt Pierre DUMONT, vivant sculpteur et de Marie MERCIER, première femme de chambre de la reine, de la paroisse de Saint-Sulpice dont le mariage avec Françoise COYPEL, a eu lieu le 21 novembre 1712, à Saint-Germain-l’Auxerrois.

Il s’agit donc d’une des maisons que l’on voit en face des Missions étrangères sur cet extrait du Plan de Turgot

On repère bien les trois édifices cités dans l’acte, sur un extrait de ce plan : le Séminaire, sur la rue du Bac, perpendiculaire à la rue de Sèvres, sur laquelle ont été construits les Incurables et les Petites Maisons.

La maison ne jouxte pas les Incurables mais une « maison dépendante des Incurables ». J’ai bien sûr cherché à savoir de quoi il pouvait s’agir et j’ai découvert cet article vraiment intéressant.

« Élevé de 1634 à 1639 à Paris, rue de Sèvres, l’hospice des Incurables est voué au soin de personnes infirmes ou atteintes d’affections chroniques et générales incurables. Sa fondation découle de la conjonction des idées et des donations de trois bienfaiteurs : le cardinal François de La Rochefoucauld, l’abbé François Joulet de Châtillon (ancien aumônier du roi Henri IV) et Marguerite Rouillé. Il accueille ses premiers malades dès 1637 dans les 36 lits dont il dispose. »

« Lors de la construction des Incurables, le quartier est encore largement rural et le bâti n’est pas aussi dense que dans les paroisses centrales de Paris. Les espaces non bâtis, encore nombreux et relativement peu onéreux, permettent de construire de grands immeubles et d’envisager une politique de construction ou d’achat d’un patrimoine immobilier directement à proximité de l’hôpital. La possession d’immeubles par les Incurables est avérée dès leur fondation et constitue une ressource vitale pour l’établissement. «  Ce doit être l’une de ces maisons qui jouxte notre maison.

« Les riches bienfaiteurs paient une somme définie par le règlement intérieur de l’établissement afin de financer l’entretien d’un lit à perpétuité et des malades qui l’occuperont successivement. En échange, le bienfaiteur obtient à perpétuité le droit de choisir le malade qui occupera ce lit. « 
« Pur produit de la charité privée, l’hôpital des Incurables doit illustrer, selon le projet initial, la prise en charge des pauvres par les élites parisiennes. L’étude de la population hospitalisée aux Incurables montre cependant toutes les limites de cette organisation, qui ne permet pas l’admission de tous les malades incurables. Elle accentue surtout la frontière entre les pauvres honteux et les marginaux, qui ne peuvent, sauf exception, espérer obtenir de place dans l’établissement. En permettant aux bienfaiteurs de choisir les pauvres qui méritent le plus d’entrer dans l’hôpital, l’établissement joue avant tout un rôle de conservation sociale. »
« Le rôle de l’hôpital des Incurables, au sein de son quartier et de la ville de Paris, dépasse donc, et de très loin, le simple accueil des malades. L’hôpital constitue, tour à tour, un élément de structuration de l’espace, ou encore un relais de la municipalité et de l’État dans le cadre de l’assainissement urbain et des tentatives de mise en place d’une ébauche « d’assistance publique ». « 
En 1878, l’hospice des Incurables deviendra l’Hôpital Laennec.

Intriguée par cette appellation de Petites Maisons, j’ai poursuivi mes recherches et trouvé ces informations sur le Blog de Gallica . « Au Moyen-Age, il n’existe pas de séparation étanche entre individus sensés et insensés. A partir de la Renaissance, on cesse enfin d’attribuer une origine démoniaque aux manifestations de la folie et au XVIe siècle, on commence à enfermer les fous dans des maisons communales ou des institutions religieuses comme celle des Petites-Maisons.

Le Grand bureau des pauvres (créé par François 1er en 1544), fait construire en 1564, rue de Sèvres à Paris, l’Hôpital des Petites-Maisons. Il ouvre cet établissement aux indigents, infirmes, teigneux, épileptiques, vieillards sans ressources, quelques vénériens et les insensés – dont le séjour est payant. Le nom de Petites-Maisons vient de ce que l’établissement est composé de petites maisons basses : on enferme chaque fou dans une pièce grillagée avec des barreaux en fer. Il y a 48 loges destinées à cet usage. Seuls les aliénés disposant d’un certificat médical attestant de leur incurabilité y sont admis. Mais au préalable, avant de les enfermer, on les envoie en cure à l’Hôtel-Dieu (saignées, purges, hydrothérapie). Antoine Tenon dans son Mémoire sur les hôpitaux tient des statistiques sur les fous et folles furieux : on en compte 44 aux Petites-Maisons en 1788. La vocation de l’Hôpital à accueillir les fous va entrer dans le langage usuel avec l’expression familière « digne des Petites-Maisons ». En 1801, l’établissement change de nom et devient l’Hospice des Ménages, en référence aux couples de vieillards qu’il abrite. En 1802, il est transformé définitivement en maison de retraite et on décide de transférer les aliénés vers les hospices de Bicêtre (pour les hommes) et la Salpêtrière (pour les femmes). »

Sur ce plan, on voit bien le tronçon de la « rue du Bacq » où devait se trouver la maison qui jouxte « par derriere un jardin appartenant aux Petites Maisons ».

Eau forte du graveur Michelinot. Musée Carnavalet

Revenons à l’estimation dont la conclusion est aussi très intéressante, « Après avoir exactement examiné laditte maison, nous avons reconnu qu’elle ne peut estre partagé entre les partyes, tant par raport à ce qui leur appartient chacun en icelle maison, que par raport à sa disposition et à son peu de largeur, c’est pourquoy nous l’avons prisée et estimée valloir la somme de treize mil livres, eu esgard au cours du temps present, à l’ossature et qualité des bastimens qui la compose, à sa scituation et qu’elle est sujette au logement des soldatz, à la charge du cens et droitz seigneuriaux seullement, cy……………….13.000 lt »

Le partage, le 31 mars 1742, de la succession de mon ancêtre, Marguerite TROUILLARD, fait près de quatre-vingt pages, et m’a fait m’arracher les cheveux, perdue dans la valse des chiffres. Mais je crois en avoir compris que, lors du partage de la succession de ses parents, elle a hérité du quart de la maison qui, après une nouvelle sentence de licitation, en 1723, avait été estimée à 22 548 livres. Le montant de sa part valait donc 5 637 livres. Mais lors du partage de 1742, la maison a été une nouvelle fois estimée à 18 000 €, et donc la part de Marguerite sur la maison, rapportée à sa succession, n’est plus que de 4 500  €. Mais plus loin, je découvre qu’elle possède aussi la moitié de la maison, donc pour une valeur rapportée de 9 000€ qui lui vient de la succession de son second mari, Pierre BARDIN. Celui-ci l’aurait donc achetée à certains des cohéritiers de sa femme. Me voilà avec une enquête à poursuivre, l’inventaire après décès, du 26 septembre 1732, de ce dernier me donnera peut-être réponse à cette question. Dans le partage de la succession de Marguerite chacun de ses cinq enfants a hérité des 3/20e de la maison savoir 1/5e dans le 1/4 et 1/5e dans la moitié, soit au total pour une valeur de 2 700€. Tout est très limpide mais m’a obligé à réviser les fractions !!! Mais au bout du compte, je ne suis pas sûre qu’il en ait vraiment été ainsi, compte tenu de l’équilibrage total de la part de chacun sur l’ensemble de la succession qui m’a complètement perdue…

Ce qui m’a posé cette question, c’est que le 4 septembre 1751, Marguerite Catherine VIELAS de la COSTE, veuve de Dominique PRISSACQ, l’une des filles de Marguerite, vend à Jean BARDIN, son demi-frère, le 1/10e de la maison dont elle a hérité, pour 1 800 livres, soit sa valeur, estimée en 1742. Si je comprends bien, mais sans certitude, la maison est toujours en copropriété indivise, entre les cohéritiers, mais elle est hypothéquée, moyennant une rente perpétuelle et viagère à laquelle s’ajoute le montant des loyers. L’ensemble de ces revenus est partagé entre les cohéritiers, au prorata de la part dont ils ont hérité. Que va devenir ensuite cette maison ?

Cette valse de chiffres qui m’a grillé les neurones m’a, néanmoins, donné envie de savoir à quoi, cela correspondrait de nos jours, le prix d’achat de 4 000 livres, en 1688, à celui des estimations successives. En utilisant un convertisseur de monnaie d’ancien régime, on voit que les 4 000 livres de 1688 équivalent à 86 083 € alors que les 13 000 livres de 1721 vaudraient 110 970 €, les 22 548 livres de 1723 à 190 105 € et les 18 000€ de 1742 à 202 977 €. L’augmentation des prix est conséquente mais on voit bien aussi que la valeur de la livre a été fluctuante.

Sources

Jacques HILLAIRET, « Dictionnaire historique des rues de Paris, tome 1 »

4 réflexions sur “B comme… rue du Bac

  1. Merci Hélène pour ce travail de titan ! 26 articles à ce rythme là, je n’ose imaginer le temps de travail que ça a supposé ! Sur le sujet, cet article m’intéresse particulièrement, la Rue du Bac étant au coeur de ma recherche sur mon GPM Armand Klein et le couple qui l’a élevé, Rue du Bac, à côté de la chapelle de la médaille miraculeuse des filles de charité de Saint-Vincent-de-Paul. Merci encore et bravo. Alain

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  2. Pingback: Raymond VIALAS de la COSTE, Sosa 1754 | Au sein de mon arbre

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