D comme… rue Duphot

Au fil du temps

C’est une rue des 1er et 8ème arrondissement qui commence rue Saint-Honoré et finit boulevard de la Madeleine. Elle a été, ainsi que la rue Richepance, percée, en 1807, au travers du couvent de la Conception. Elle porte le nom du général de la Révolution, Léonard Duphot (1770-1797).

Mes ancêtres qui y demeurèrent

À rue plus récente, ancêtres plus contemporains, ce sont mes arrières-grands-parents et mes grands-parents maternels que j’y retrouve.

François DUCOURNAU, mon arrière-grand-père est né le 2 avril 1846, au village de Peycamin, à Gradignan, près de Bordeaux. Jeune, il est parti rejoindre son oncle au Pérou et de là est allé à Washington pour faire des études dentaires. Il est ensuite retourné à Lima où il a ouvert un cabinet. Vers 1878, il revient à Paris où il retrouve un médecin américain qu’il avait connu à Washington. Avec lui il fait partie d’une équipe de médecins et de dentistes qui créent en 1878, le « Comité des dentistes », rebaptisé en 1880, « Société Syndicale Odontologique de France » dont l’objectif est de réglementer la profession et d’ouvrir une école dentaire, alors qu’il n’y en avait pas en France. Une histoire bien intéressante qui aura droit à un autre article. Il rencontre Rosine Philiberte PELLETIER, fille de Charles et de Victorine Coralie KRABBE avec qui, il se marie le 15 janvier 1879, à la mairie du 14e, après avoir passé un contrat de mariage le 13 janvier. Je ne sais quand il a ouvert son premier cabinet à Paris mais le 14 juin 1887, il loue dans ce but, un appartement, au 4 et 6 rue Gaillon, dans le 2e arrondissement. Le couple aura sept enfants, quatre garçons et trois filles. Mais ils auront la douleur de perdre le petit Louis Jean, âgé de huit mois.

Mon grand-père, Albert Dominique DUCOURNAU, né le 31 janvier 1880, est l’aîné de la fratrie. Il suit brillamment ses études de médecine. Ma mère m’a dit qu’il aurait aimé être médecin de campagne mais la pression paternelle a été la plus forte et il fait la spécialisation stomatologie pour travailler avec son père. Il est reçu à son doctorat le 15 juillet 1907.

Et le 30 décembre 1909, le père et le fils, créent ensemble une Société en nom collectif « ayant pour objet l’exercice en commun de la profession de chirurgien dentiste, l’exploitation d’un cabinet de chirurgie dentaire, de tous cabinets de chirurgiens dentistes en général ainsi que de tous les accessoires de la dite profession. »

Le siège social est situé au 15 rue Duphot où ils louent un appartement, au 2e étage, pour installer leurs deux cabinets.

La création de la Société comprenait un apport initial de chacun, tant financier qu’en matériel de la profession, bien sûr à la hauteur de leurs moyens, celui du père étant beaucoup plus important que celui du fils. François apporte 106 500 francs au capital et Albert, 15 000 francs. L’objectif étant que progressivement, selon des modalités qui sont précisées dans l’acte, le fils rachète des parts au père pour que leurs investissements deviennent équivalents. Tous les frais généraux vont ainsi être mutualisés (loyer, charges, salaires de l’assistante, de la femme de ménage…). Parmi les salariés, ils prévoient d’embaucher aussi un prothésiste.

La famille ne déménage pas à cette adresse et reste, dans leur appartement, 11 rue de Siam, dans le 16e arrondissement.

Le 27 juillet 1910, Albert Dominique épouse Elisa Sylvie Suzanne LAMBOI, fille de Emile Félix, négociant, courtier et de Marie Sylvie TAMAN. Après leur mariage, ils s’installent dans une location à Chaville, dans l’ancienne Seine-et-Oise. Ils auront six enfants, quatre garçons et deux filles, dont ma mère Simonne Jeanne, la seconde, née le 26 mars 1914. Mais ils ont eu le grand chagrin de perdre le premier, Fernand, le 18 mars 1911, décédé, à peine né, dans les bras de son père qui l’a mis au monde. Pour les suivants, tous nés à la maison, mon grand-père sera accompagné, lors des accouchements, par une sage-femme.

Les deux cabinets marchent bien, la clientèle satisfaite se fidélise. En 1912, un avenant à la Société, réévalue et modifie le capital de la façon suivante, l’apport de François est de 72 000 francs et celui de Albert de 18 000 francs.

Mais le 2 août 1914, c’est la mobilisation. Mon grand-père part au front, en tant que médecin aide-major. Il sera au plus près des combats d’ambulance en ambulance. Il réparera beaucoup de « gueules cassées » pour lesquelles, il a imaginé un plâtre articulé pour leur permettre de remanger plus vite. J’ai pu suivre une partie de ses années de guerre, à travers sa correspondance avec ma grand-mère, partie, pendant la durée de la guerre avec ses deux jeunes enfants, rejoindre ses parents à Montagny-Sainte-Félicité, dans l’Oise. Elle lui écrivait presque tous les jours et ses lettres du 25 mai 1915 au 30 septembre 1916 et du 5 juillet au 31 octobre 1918 ont été conservées de même que celles que mon grand-père lui a écrites du 20 juillet 1918 à sa démobilisation le 17 février 1919. Malheureusement, il y en a peu de mon grand-père mais on a quand même le reflet de sa vie au front, des soins qu’il est amené à prodiguer, au travers les lettres de ma grand-mère qui répond aux siennes. J’en avais fait un petit recueil que je reprendrai sûrement un jour car il a subi le crash de mon ordi, peu de temps après l’avoir fait ! Heureusement il m’en reste un exemplaire.

Mon arrière-grand-père tient donc seul, le cabinet dentaire, du moins au tout début de la guerre, parce que la famille a été très vite endeuillée. Marcel Emile, son plus jeune fils, est parti aussi au front, au 346e Régiment d’infanterie. Il écrit cette lettre à ma grand-mère, le 27 août.

Et seulement un mois plus tard, le 27 septembre 1914, il décède de ses blessures de guerre à l’hôpital de Toul, à 27 ans. La famille est sous le choc. Et le 18 octobre 1914, c’est Suzanne, ma grand-mère qui voit s’éteindre à Montagny, son père, Emile Félix LAMBOI dont elle était très proche. Elle se retrouve seule à affronter ce grand chagrin avec les soins à donner à sa mère qui lutte contre un cancer qui la ravage et ses deux petits, mon oncle Jacques, âgé de 2 ans et demi et ma mère de quelques mois. Heureusement, sur le plan matériel, elle est aidée par une bonne et un jardinier. Mon grand-père doit faire face, de loin, à toutes ces douleurs, tellement malheureux de ne pas pouvoir être auprès de sa chère femme, tout en étant au plein cœur des horreurs sur le front. Il s’inquiétait aussi de la situation à Montagny qui n’était pas loin du camp d’aviation de Nanteuil. Que de courage, il leur a fallu ! Mais le destin funeste s’acharne encore sur la famille. Mon arrière-grand-père, profondément bouleversé par la mort de son plus jeune fils, est touché au cœur ; il va mal et le 31 octobre 1914, il succombe d’une crise cardiaque.

En plus de tous ces deuils à surmonter, mon grand-père est angoissé pour l’avenir du cabinet dentaire. Que faire ? Fermer le cabinet et risquer que les patients partent ailleurs et ne reviennent pas ou prendre un remplaçant et qu’il entraîne la clientèle par la suite ? Ces questions sont très présentes dans les lettres entre les époux mais aussi avec le reste de la famille. Mon arrière-grand-mère poussera d’abord pour prendre un remplaçant mais cela n’a pas l’air de s’être bien passé, des clients en étant mécontents. Du coup, fin 1915, la décision est prise de fermer le cabinet.

Quand il est démobilisé, le 17 février 1919, mon grand-père va le relancer seul, ne ménageant pas sa peine. Il faut à la fois qu’il gagne de quoi faire vivre sa famille mais aussi, après le partage de la succession qui a été repoussée en 1921, pour lui laisser le temps de reconstituer sa clientèle, il doit rembourser une partie du capital social de la Société, à son frère et ses sœurs, sa part dans la succession étant moins importante que ce qui ne lui appartient pas encore dans la Société. Heureusement un accord entre eux, lui permet d’étaler, sur plusieurs années ces versements.

En même temps, dès son retour, il va aménager l’appartement, 15 rue Duphot, comme il le raconte dans ses lettres à ma grand-mère, pour y accueillir sa petite famille qui va s’agrandir après la guerre. Je suis allée dans cet appartement quand j’étais petite mais pas assez souvent pour en avoir gardé souvenir. J’ai demandé, il y a quelques années, à ma seule tante encore en vie, âgée de 97 ans, de m’en faire un plan.


Mes grands-parents près de la cheminée du salon.


Quand il y avait deux cabinets dentaires, le salon qui était entre les deux, était la salle d’attente pour les patients et la cuisine était l’atelier du prothésiste. Mon grand-père n’en a pas réembauché, après la guerre.

Quand l’appartement est devenu aussi le logis de la famille, ce qui était un peu ennuyeux, c’est que le salon ne pouvait être utilisé comme tel qu’en dehors des heures d’ouverture du cabinet et mon grand-père travaillait souvent de 8h 30 à 20h.

Le cabinet est très bien reparti, mon grand père étant très apprécié de ses patients. Parmi eux, il y avait beaucoup de personnes de l’Ambassade américaine voisine ou encore des petits rats de l’Opéra. On retrouve toute la famille dans ce recensement de 1936. Les deux plus jeunes fils, François et Emile, dits absents, sont pensionnaires au Collège de Juilly. Il y a deux bonnes, Joséphine LETOURNY et Caroline SCHNEIDER HELDE qui sont recensés avec eux mais habitent sans doute ailleurs ou dans une chambre de bonnes de l’immeuble car l’appartement est trop petit pour les loger.

Et puis le 2 septembre 1939, c’est à nouveau la mobilisation. À l’appel de l’armée, il a demandé à reprendre du service, heureux de pourvoir encore aider. Il est parti à St-Quentin transformer l’hôpital civil en hôpital militaire. Tout était bien organisé. Mais quand il a eu ses 60 ans, en janvier 1940, on l’a alors prié de retourner dans ses foyers. Vexé, il est revenu à Paris et s’est alors engagé dans la Défense passive avec ma mère qui avait 26 ans. Pendant l’exode, il a pris la direction d’un convoi d’ambulances vers Bordeaux.

Le 27 juillet 1940, il est revenu à Paris et a rouvert le cabinet, une nouvelle fois, sans savoir si ses clients reviendraient. Paris n’avait pas trop souffert mais beaucoup de Parisiens étaient restés en province dans la zone libre et d’autres étaient déjà morts ou prisonniers, comme mon oncle, François, engagé volontaire depuis 1938. Il a peu à peu retrouvé ses clients fidèles qui appréciaient ses soins et étaient contents de le retrouver. Il a consacré toute sa vie, de longues journées de travail à ses patients et le jeudi, il allait au dispensaire, prodiguer des soins gratuits aux enfants dont les parents n’avaient pas les moyens de les emmener dans un cabinet dentaire.

C’est seulement en 1959 qu’il a pris sa retraite, âgé de 72 ans. Il aimait tant son métier auquel il avait beaucoup donné que cela a été pour lui une grande fracture. Il est parti sans prévenir ses clients et a voulu leur faire accepter l’événement par sa présence une fois par semaine auprès de son remplaçant. Mais certains, presque des amis, en ont été mécontents.

Mes grands-parents ont quitté le 15 rue Duphot, après y avoir passé près de cinquante ans, pour finir leur vie à Fleurines, dans l’Oise, en une maison qu’ils avaient achetée en 1925 pour se reposer, le week-end et les vacances. C’est là qu’ils sont décédés, mon grand-père le 3 novembre 1663 et ma grand-mère le 27 juillet 1667.

De lointains cousins y habitaient aussi

J’ai découvert, sur un arbre de Geneanet, qu’au 12 de la rue DUPHOT, était domiciliée, lors du recensement de 1926, une famille KRABBE, Antoine Théodore et son épouse ainsi que leur fille, Yvonne Camille Claire KRABBE, épouse SCELLIER que j’ai rattachés à ma branche. Je me dis qu’il y a de grandes chances, qu’un jour, un mal de dent ait amené l’un ou l’autre à prendre rendez-vous, au cabinet dentaire juste en face. Si c’est le cas, mon grand-père a dû être interpellé par leur patronyme peu courant qui est celui de sa grand-mère. Ont-ils échangé sur leur ascendance KRABBE ? Mon grand-père ne semblait pas la connaître et eux ? Ils n’ont donc pas dû savoir qu’ils étaient bien, de lointains cousins.

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