F comme… rue Froidmanteau

Au fil du temps

Située dans le 1er arrondissement, Paroisse Saint-Germain-l’Auxerrois, la rue Froidmanteau, dénommée aussi Fromenteau ou Frementel est une ancienne voie. Elle partait de la rue saint-Honoré et se dirigeait vers le Sud jusqu’à la rue des Orties, au guichet du Louvre. Elle mesurait 175 toises (env. 340 m.) et donne accès à 93 portes.

Extrait du Plan des paroisses de Paris, dressé par Juiné, 1786 – BnF

En vertu d’une décision ministérielle du 16 février 1839, rendue sur demande des propriétaires riverains, cette voie a reçu le nom de « rue du Musée ». Puis elle disparaît lors de la réorganisation de la Place du Palais-Royal consécutive au percement de la rue de Rivoli.

Mes ancêtres qui y demeurèrent

On retrouve dans cette rue une partie de mes ancêtres qui habitaient auparavant, tout près, dans le Cloître Saint-Nicolas-du-Louvre. Mathieu Simon MOREL, né vers 1694 est le fils des défunts Mathieu Simon MOREL et Marie LEMATTE, mes ancêtres et le frère de Geneviève MOREL. Il se marie le 10 mai 1718, à Compiègne avec Marie Jeanne Pierre CHASTELAIN, fille de Louis et de Marie MOTEL.

Je ne sais quand ils ont déménagé. Mais le 6 novembre 1723, « Cezar Francois MAROTIN prestre chanoine et receveur du Chapitre de St Nicolas du Louvre demeurant au cloistre de lad eglise […] a reconnu avoir faict bail pour neuf années […] au Sr Mathieu Simon MOREL marchand epicier et a D(amois)elle Marie Jeanne Pierre CHASTELAIN sa femme[…] demeurant rue Froidmanteau […] une maison apartenante aud(it) Chapitre située en lad(ite) rue Froidmanteau actuellement occupée par le sr DUBRANE perruquier consistante en une boutique et arriere boutique, … … , trois etages de chambres et grenier audessus avec cave dessous. […] Ce bail fait moyennant la somme de neuf cent livres de loyer pour chacune des neuf années. »

Mathieu Simon est marchand épicier comme son oncle paternel, Charles MOREL et comme son beau-père et son beau-frère Louis CHASTELAIN, demeurant tous deux à Compiègne.

Intérieur d’épicerie au XVIIIe siècle

Mais que vendait un épicier au XVIIIe siècle ? Il fut, jusqu’au XVe siècle, épicier-apothicaire, et put cumuler sans réclamations ni inconvénients tant que la pharmacopée est tout empirique. Dès le XVe siècle, la chimie médicale avait fait assez de progrès pour que le divorce de la pharmacie et de l’épicerie s’imposât s’il ne fut définitivement prononcé qu’en 1777, lorsque le Collège de pharmacie s’ouvrit rue de l’Arbalète. Mais déjà, à partir du règne de Charles VIII, épiciers-droguistes et apothicaires sont bien distincts. La tendance de plus en plus prononcée est de réduire l’épicerie au commerce des matières premières ou drogues simples, sans le droit de procéder aux pesées médicales, au dosage ou à la confection des médicaments. L’épicier est un grossiste même s’il peut aussi vendre aux particuliers, plutôt aisés. Il se différencie ainsi du regrattier qui vend au détail, dans la rue ou sur les foires, des articles de petite épicerie ou de denrées d’usage courant. Certains regrattiers étaient spécialisés dans la revente à bas prix des restes alimentaires provenant des tables bourgeoises ou aristocratiques. Après la Révolution, le premier venu, pourvu qu’il payât patente, eut les mêmes droits que les anciens maîtres, put prendre le même titre qu’eux et les parvenus de l’épicerie, se multipliant dans toute la ville, devinrent pour ainsi dire le type consacré de l’épicier.

Mathieu Simon n’aura pas profité longtemps de cette boutique et de cette maison où il décède, à 31 ans, bien précocement comme ses parents le, 16 octobre 1725. L’apposition des scellés précise la localisation de la maison dans la rue Froidmanteau, « vis a vis du passage qui va au Vieux Louvre », donc au milieu de la rue. Sont présents Jacques Philippe ANDRIEUX, garçon de boutique et Louise LIENART, garde-malade dont je déduis que Mathieu Simon n’est pas mort brutalement mais d’une maladie qui devait durer depuis quelques temps.

L’inventaire a lieu le 25 octobre et nous apprend que Mathieu Simon et sa femme ont un petit Edmé Mathieu, âgé de cinq ans, dont Edmé Laurent BOUTRON, officier de la maison du Roy, oncle paternel à cause de Geneviève MOREL sa femme, est subrogé tuteur. La famille semble n’occuper qu’une partie de la maison, puisque l’inventaire nous emmène dans les deux caves, la boutique, la cuisine au fond de la boutique, une antichambre et une chambre au-dessus mais pas les second et troisième étages. J’ai idée qu’ils partagent cette maison avec les grands-parents de Mathieu Simon, Antoine LEMATTE et Marguerite BOURGEOIS, avec qui ils vivaient certainement déjà, Cloître Saint-Nicolas-du-Louvre et que l’on retrouvera ici plus loin.

Mais suivons l’expert venu estimer le contenu de la boutique. Tout est minutieusement décrit : son mobilier, son matériel et avec précision tout ce que l’on aurait pu acheter ce jour-là, chez notre épicier, nous permettant de découvrir très concrètement en quoi consistait son métier.

Le mobilier comporte, « un grand comptoir de bois de chesne et un autre petit comptoir garnys tous deux de plusieurs tiroirs ; deux bancs a hauts dos de meme bois, un corps de quarante huit tiroirs, un autre corps de douze tiroirs de differents bois ; un banc de porte de bois de chesne ; une montre de boutique composé de plusieurs barres de fer et de fil de laiton, une petite armoire de bois de chesne avec batan fermante a clef garny de quatorze petits carreaux de verre. »

Et pour peser ou préparer les ingrédients, il y a sur les comptoirs, « un grand fléau avec ses plateaux ; dix neuf poids a peser de cinquante livres chacun et cinquante livres de menus poids de fer ; deux barils a l’eau de vie garnys de leurs cercles de cuivre rouge et de leurs fontaines ; un mortier de fonte monté sur son pied avec son pilon ; un autre petit mortier de fonte cassé et son pilon ; un fleau de comptoir garny de ses bassines de cuivre jaune ; quatre paires de balances a la main tant bonnes que mauvaises ; un autre fléau de comptoir avec de petites bassines ; une fontaine de cuivre ou … avec un perçoir et un entonnoir, deux grands et deux petits chautiers« 

Quand à la longue liste des marchandises, j’ai hésité à les trier pour avoir une idée plus claire des différentes catégories de produits. Mais finalement je choisis de la présenter telle qu’elle est écrite, comme un inventaire à la Prévert, dans lequel, toutes les senteurs qui se mélangent, nous plongent dans l’atmosphère de la boutique et nous font voyager, au fil des provenances des produits.

Trois quarts d'huile d'olive du port Maurice
Trois pains de fromage de Gruyère pesant net cent livres
Une basse eau de vie
Un pain de fromage de Hollande pesant cinq livres
Un pot de savon noir pesant net dix livres
Un baril d’huile de navette pesant cent quatre vingt dix huit livres
Huit balles de soude d’Alicante pesantes net

quatre mil six cent cinquante quatre livres
Cent livres de riz du Levant
Soixante livres de colle d’Angleterre
Vingt deux livres et demie de cire jaune
Soixante cinq livres de poivre noir
Deux caisses de savon d’Alicante pesantes net cinq cent quinze livres
Deux tonneaux de varec ou petitte soude pesant

mil huit cent cinquante livres
Huit tables de savon blanc pesantes net cent soixante douze livres
Un pot de miel blanc pesant net quarante livres
Dix rames de papier a sacque pesantes net quatre cent vingt livres

Deux cent dix sept livres de savon d'Italie
Soixante livres de vieux beurre tant bon que mauvais
Deux cent soixante cinq livres et demie de sucre assorty
Cinq livres et demie de cotton baza
Cent cinquante livres de savon de Marseille …
Cinquante deux livres de colle de Flandre
Quatre vingt livres de colle de Paris
Quinze livres de fromage gaté
Vingt neuf pintes de vinaigre
Trouvé dans le corps de quarante tiroirs :
la girofle batu, anis batu, jujube, rose de Provins,
gomme gutte, piretre, storax, sucre candy blanc,
canelle, girofle entier, muscade, fleur de soufre, anis vert
Sept flambeaux jaunes pesant dix livres
Trente six galons dans lesquels ses trouvé amandes douces, poivre blanc,
suc de reglisse, gomme arabique, email des quatres feux,

colle de poisson, graine de lin, poivre Jamaïque,
mine de plomb noir, amidon, bois d’judé, manne, séné et salpêtre
Une douzaine et demie de poudriers de verre dans lesquels sest trouvé
du saffran de Gatinois, de la gomme gutte, du quinquina batu,

du … en poudre, du vermillon, du canfre, de la canelle batue
et plusieurs autres menues drogues
Cent livres de papier blanc commun
Trois cent vingt livres d’ocre rouge
Soixante livres pesant de sacque de papier
Soixante livres d’alun d’Angleterre
Une peau de chien de mer, soixante livres de mastic a poix raisiné
Neuf livres et demie de cierges et bougie de cire blanche
Et … livres de flambeaux blancs
Un baril de bray trouvé au deux tiers vuide

Quarante livres de papier de procureur
Quatre bouteilles de cappres et six bouteilles de cornichons
Trois pots d'huile d'olive
Quarante pintes de ratafia
Dix livres de miel commun
Six bouteilles de sirop de capilaire
Cinquante livres de tripoly

Le tout est bien sûr prisé précisément pour chaque meuble, objet ou produit avec pour ceux-ci mention du prix à la mesure de poids. Mais j’ai bien sûr été totalement incapable d’additionner des livres, des deniers et des sols pour connaître la valeur de l’ensemble de la boutique !

Quelques mois plus tard, il y a malheureusement encore un décès. Le 2 janvier1726, c’est mon cher Antoine LEMATTE, le grand père, qui perd la vie. Je ne sais quel âge il avait car je n’ai pas encore trouvé ses lieu et date de naissance et ne connais pas ses parent mais il est sûrement originaire de l’Oise. Son inventaire après décès est fait à la requête de Marguerite BOURGEOIS dans son logis dépendant d’une maison dont le Sr MOREL était le principal locataire. Les grands-parents vivent donc bien avec leur petit-fils. Malheureusement, il n’y a pas eu de contrat de mariage qui m’aurait pourtant bien aidée. Marguerite est-elle restée vivre là, je l’ignore n’ayant toujours pas trouvé son décès ?

Puis Marie Jeanne Pierre CHASTELAIN se remarie, le 19 mai 1726, avec Jacques Philippe ANDRIEUX qui a dû prendre en charge l’épicerie. Mais elle décède, à son tour, cinq ans plus tard, le 18 octobre 1730, âgée de 35 ans. Une nouvelle fois, il y a, le 30 octobre, un inventaire après décès, qui est en ligne sur Geneanet et détaille très précisément le contenu de la boutique. On retrouve sensiblement les mêmes produits que dans l’inventaire de Mathieu Simon. Quelques uns n’y sont plus et j’ai décompté une trentaine de nouveaux produits, comme « le fromage de Rocfort », « le riz du Piémont », « le caffé » ou « l’opium ». C’est Louis CHASTELAIN qui est nommé tuteur de Edmé Mathieu.

Je me suis demandé quel avait été le devenir du jeune Edmé Mathieu, âgé de 10 ans. Est-il parti tout de suite, à Compiègne où son tuteur est marchand épicier ? Toujours est-il que c’est là qu’il se marie, le 10 mai 1746, avec Françoise LANGLOIS, Il est dit marchand. Ils auront deux enfants, Pierre Mathieu, en 1748 et Edmé Joachim en 1751. Mais il n’a même pas vu naître ce dernier, décédé deux mois avant, le 18 novembre 1751. Il a 31 ans, quasi au même âge, bien trop jeune, auquel sont décédés ses parents et son grand-père paternel… À son décès, il était changeur du Roi.

De 1733 à 1745, on retrouve également dans cette rue, Marie Cécile BORDE, petite-fille de Marie MOREL, l’une des filles de Simon MOREL, rencontré Cloître-Saint-Nicolas-du-Louvre. Elle est mariée avec Sébastien LEMAIRE, marchand de bois, marinier, voiturier par eau qui décède rue Froidmanteau, le 10 mars 1745.

Et le 21 février 1756, mes ancêtres, Edmé Laurent BOUTRON, tuteur d’Edmé Mathieu MOREL, et Geneviève MOREL, son épouse, achète à François CHARROYER, une maison sise rue Froidmanteau, pour la somme de 32 000 livres plus mille livres de pot de vin. Cet achat est mentionné dans l’inventaire après décès d’Edmé Laurent, le 23 avril 1768. Mais ce n’est pas dans cette maison qu’il est décédé. Vu le prix, ce devait être une belle maison ! Malheureusement je n’ai pas pu en découvrir la description et plus ample localisation. J’ai bien trouvé mention de l’acte dans le Répertoire du notaire GIRAULT, à la dite date, mais pas dans les registre de la période correspondante. Les actes de février, postérieur au 19, sont hélas manquants…

D’autres collatéraux, au XIXe siècle

Leymonnerye, Léon (1803 – 1879), dessinateur – Musée Carnavalet

Sautons quelques années, pour nous retrouver au 19e siècle, avec une toute autre branche. Le 26 janvier 1809, Jean louis GOBERT, doreur, entrepreneur des bâtiments du roi, marchand mercier, fils de Louis François GOBERT, maître doreur, ciseleur argenteur sur métaux et de Françoise RUELLE épouse Anne Marie KRABBE, fille de Jean Théodore Bernard KRABBE, maître tailleur d’habits et de Anne Sabine CERNEAU, mes ancêtres. Il habite au 20 rue Froidmanteau et leur fils, Auguste, y naît le 24 juin 1809.

Le 25 mai 1812, ils sont toujours dans cette rue, mais au N°22. Jean Louis GOBERT est cité comme subrogé tuteur des enfants mineurs de Antoine Henry KRABBE, son beau-frère, et de Adélaïde Sophie ROUVEAU, mes ancêtres, dans l’inventaire après décès de ce dernier.

Sources et pour aller plus loin

Jacques HILLAIRET, « Dictionnaire historique des rues de Paris, tome 1 »

« Epiciers d’autrefois », la France pittoresque

David AUDIBERT, « Vendre des produits d’épicerie à Bordeaux au XVIIIe siècle. L’apport de la comptabilité d’Anselme Bousigues (1719-1722) »

5 réflexions sur “F comme… rue Froidmanteau

  1. Encore un bel article !

    Et avec un inventaire, en plus ! – C’est vraiment une des sources les plus satisfaisantes, qui permettent de se plonger dans le quotidien de nos ancêtres.

    J’adore ces rendez-vous quotidiens, le rituel du café en lisant quelques articles du challenge. ^^

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