H comme… rue de la Huchette

Au fil du temps

La rue de la Huchette dont le nom, de1284, provient d’une enseigne A la Huchette d’Or, est une voie étroite située dans le 5e arrondissement, paroisse Saint-Séverin, entre le boulevard Saint-Michel et la rue du Petit Pont. Elle fut longtemps une des plus belles rues de la rive gauche. C’était au XVIIe siècle, le quartier des rôtisseurs et des traiteurs mais elle était alors moins bien fréquentée à en croire, Claude le Petit, dans « Paris ridicule », qui la définit comme un lieu qui « est la source d’où sortent les coupeurs de bourse » !

Extrait du Plan Turgot (1734-1739)

Mes ancêtres qui y demeurèrent

On retrouve la famille BARRAU – VIALASE de la COSTE

Lors du partage de la succession de Catherine VIALASE de la COSTE, le 19 mai 1779, je découvre « une sentence du dix sept février mil sept cent cinquante neuf […] portant sur l’adjudication par licitation d’une maison sise en cette ville rue de la Huchette moyennant la somme de quatre mille cinq cents livres […] au profit du Sr BARRAU de Chefdeville », suivie d’un acte, du quatre mars 1760, contenant comptes et quittance du prix principal de l’adjudication. L’acheteur est François Dominique BARRAU, l’un des fils, né vers 1725, architecte qui décède le 29 juin 1765 alors qu’il travaillait pour Louis Joseph de Bourbon-Condé, à l’agrandissement du Palais Bourbon. Sa mère a donc hérité de cette maison.

Le 6 décembre 1773, Catherine VIALASE de la COSTE, baille « au Sr Jean Joseph NORMAND, marchand de bierre et Marie Jeanne BELLIER son epouse pour trois, six ou neuf années commencées au premier janvier mil sept cent soixante huit lad(ite) maison sise en cette ville rue de la Huchette où est appliqué pour enseigne le St Esprit moyennant six cent livres de loyer par an ». Dans le très long et complexe acte de partage, je n’ai pas retrouvé le devenir de cette maison. Est elle restée en indivis ou attribuée à l’un des enfants ?

Dans la branche de mes boulangers parisiens, du 17e siècle

Le 28 septembre 1643, c’est la signature du contrat de mariage entre mes ancêtres, Eutrope SAULNIER, maître boulanger, demeurant rue de la Huchette, fils de feu Médard et d’Epiphanie GEAULT, de Boësses en Gatinais et Sébastien NOBLET, maître peaussier, demeurant rue de la Vieille Cordonnerie, au nom et comme subrogé tuteur stipulant pour Catherine HOULLIET, fille de défunt Pierre, en son vivant maître fourbisseur et de Marie PIGNOLLET. Catherine est mineure et habite dans la maison d’Olivier CORNILLOT, maître boulanger, rue de la Huchette. Hormis Sébastien HOBLET qui est l’oncle de Catherine, il n’y a aucun témoin des familles des époux. Eutrope dit ne savoir signer mais Catherine sait.

Dans un acte où il se porte caution, Eutrope SAULNIER est dit boulanger de petits pains. Cette expression qualifie à l’époque, le boulanger parisien qui produit des pains de petite taille par opposition au boulanger de gros pains qui est forain et vient des faubourgs ou bourgades voisines vendre du pain sur les marchés parisiens. À partir de 1635, le boulanger doit cuire journellement quatre sortes de pains dans sa boutique : le pain de Chailly de 12 onces (1 once = 30,594 g), après cuisson ; le pain de chapitre de 10 onces ; le pain bourgeois ou bis-blanc de 16 onces ; le pain bis (plus noir) ou pain de brode de 14 onces. Les balances et les poids doivent rester dans la boutique. On défend aux boulangers d’exposer les autres pains de luxe : pain de Gonesse, pain à la reine, etc…. Ils sont vendus aux seuls clients qui en font «expressément» la demande. La composition du pain évolue : la pâte n’est constituée que d’une seule farine. Depuis qu’il est utilisé par certains, le levain est fabriqué par simple fermentation de la pâte pendant quelques jours. De chaque pâte levée, le boulanger extrait une petite partie qui servira de levain pour la fournée suivante… Cette  levée est réalisée plus régulièrement, à partir de 1665, avec l’emploi de levure de bière qui accélère la fermentation, allège la consistance et améliore le goût. Malgré l’opposition de la Faculté de Médecine (Procès du pain mollet, en 1666), cette préparation est plébiscitée par les consommateurs, validée par le Parlement en 1670.

Mais Eutrope SAULNIER n’aura pas eu le temps de connaître cette évolution dans sa pratique car il décède avant. Et par son inventaire, le 29 juillet 1659, j’apprends qu’ils ont eu quatre enfants, Elisabeth, âgée de 15 ans, Robert, de 14 ans, Anne, âgée de cinq ans et Marguerite de deux ans. Jean SAULNIER, vigneron, demeurant à Boësses, oncle paternel des enfants est nommé subrogé tuteur et leur mère tutrice. Leur maison, dite attenante à celle des Boeufs et dont on visite la cuisine et trois chambres avec « bouges » attenants, me paraît très agréable et même raffinée, avec ses meubles tous de bois de noyer, les armoires avec ferrures fermant à clé, sa quinzaine de tableaux, son miroir garni d’une bordure de bois de poirier, une table couverte de tapisserie au point de Hongrie et trois tentures de tapisserie au mur d’une chambre, les tabourets et le fauteuil, couverts de moquettes garnies de leur housses de serge, ornées de franges de soie, les rideaux rouges, bordés de franges de soie, les traversins garnis de plumes…

Robert BOUDIN, maître boulanger, demeurant également rue de la Huchette, est présent à l’inventaire pour estimer ce qui concerne la boulangerie que nous pouvons ainsi découvrir. S’il y a beaucoup de rôtisseurs dans la rue de la Huchette, il y a donc au moins trois boulangers, à la même époque. Il fallait du bon pain pour saucer le rôt !

Dans la boutique, se trouvent : « un banc de bois de noyer a lantique fermant a une serrure fermant a clef, un comptoir de bois de chesne garny de son tiroir aussy fermant a clef, une paire d’armoire de bois de noyer a quatre guichetz garnys de leur serrure fermant a clef a deux tiroirs a coulice, un garde manger, deux petites armoires a cinq ayes, une petite table batante et six escabelles ».

Et dans le fournil, il y a : « deux paintrins, dix douzaines d ustencilles servant a la vacquation de boulanger, une grande pelle de fer a four, une rape aussy de fer, une douzaine et demye tant pelles que … de bois, un … a four de fonte, une paire de balance garnye d’un marc de quatre livres de cuivre et une romaine au peson de fer garny de son poidz aussy de fer de douze livres et une douzaine de grandes ayes de bois de chesne ». En 1577, une ordonnance d’Henri III oblige les boulangers à mettre à la disposition de leurs clients des balances et des poids contrôlés.

Encyclopédie Diderot – 1763

Le 20 novembre 1660, Catherine, se remarie par contrat, avec Thomas JEZON, boulanger, âgé de vingt quatre ans, fils de défunt Thomas, maître boulanger et de Catherine DUPUIS, demeurant rue Dauphine. Catherine apporte en dot « la somme de trois mille six cents vingt livres, tant en deniers comptants, ustensiles de mesnage, habits, linge, hardes, vaisselle d’argent, marchandises de boullangerie dont il y a un montant de quatorze deux mille deux cents vingt livres faisant partie des biens et effectz qui estaient en commun avec le dict deffunct Saulnier et lad(ite) future espouse […] et le surplus de quatorze cents livres provient des gains et espargnes faicts par lad(ite) future espouse en son negoce de boullangerie depuis led(it) cinq aoust an mil six cent cinquante neuf jour de lad(ite) closture d’inventaire. »

J’avais remarqué sur cet acte que Thomas JEZON est dit boulanger mais pas maître et qu’il est jeune. La tutelle du 6 novembre 1660 m’apporte des informations bien intéressantes. Ce conseil de famille est fait à la requête de Thomas, compagnon boulanger,« lequel nous a dit quil  est prest de se mettre en boutique et se pourvoir par mariage de quoy il a … aveq ses parents  qui le trouvant bon mari comme il na aucun bien meuble et que sy peu quil a consiste en un douz[ieme] de maison scize rue de la Tixanderie  et autres petites portions de maisons en cette ville qui luy rendant  fort peu de revenu il aurait besoin de vendre lesd[ites] portions de maison  pour en pouvoir toucher le prix affin de lemployer aux frais de sa maistrise, etablissement de sa boutique et autres depenses necessaires sans quoy il seroit exposé a souffrir et perdre l’occasion d’une bonne rencontre ».
Ses parents dont la grande majorité sont maîtres boulangers  » sont dadvis que la partie en portions de maisons appartenant aud Thomas JESON scizes en la ville de Paris scavoir un douzie[me] au total de la maison de la Louvette scize rue de la Tixanderie et un … en la maison scize sur le pont St Michel ou pend pour enseigne le Marteau dor soient  vendus a la meilleure condition quil se pourra pour le prix estre  employe au proffit dud Thomas JESON tant a sa maistrise de m(aîtr)e boulanger que comme necessitez pour le pourvoir par mariage ». Il me semble bien que Thomas JEZON a été intéressé au moins autant par la boulangerie que par la boulangère…

Comme toutes les corporations en France, celle des boulangers s’est formée, et avant toutes les autres, par une sorte de confrérie ou société religieuse ; et, sous le nom de talemeliers qu’ils portaient alors, on trouve la trace de leurs statuts du temps de saint Louis ; mais les plus anciens règlements sont ceux qui nous ont été conservés par Estienne Boileau, au début des Registres des métiers, recueillis vers l’an 1260. Le premier article porte : « Nuz ne peut estre talemelier dedans la banlieue de Paris, se il n’achate le mestier du roy. » Après cinq ans d’apprentissage comme mitron, le nouveau compagnon doit effectuer un stage de quatre ans qui lui coûte chaque année une redevance due au roi, via le Grand Panetier : le reçu est matérialisé par une encoche sur un bâton. La réception à la maîtrise se fait une fois par an en présence de tous les maîtres-boulangers qui ont une obligation de présence. Le postulant se présente avec son bâton aux 4 encoches et un pot de noix. Il doit réaliser son chef-d’œuvre (variable suivant l’époque) en réalisant plusieurs fournées de pains différents. Le nouveau maître-boulanger doit alors prêté serment. Son pot de noix lui est rendu : il doit le jeter contre le mur de sa maison. Les fils de boulangers étaient soumis à des règles très allégées (durée du stage, redevances…).

Malheureusement Catherine décède dix ans plus tard, comme nous l’apprend la tutelle du 20 janvier 1670, à la requête de Thomas JEZON suite au décès de son épouse, tutrice de ses trois enfants mineurs, Robert, âgé de 24 ans, Anne, âgée de 16 ans et Marguerite de onze ans. C’est Jean DUPUIS, maître boulanger, beau-frère des mineurs, ayant épousé Elisabeth , le 25 octobre 1665, qui est nommé tuteur et Sébastien NOBLET, toujours présent, subrogé tuteur.

Thomas JEZON, maître boulanger, ne tarde pas à se remarier, le 19 mai 1970, avec Marguerite WAIGNARD, fille de Jean, maître boulanger et de Catherine CARON. Robert SAULNIER, mon ancêtre alors âgé de 24 ans, deviendra maître boulanger mais quittera la rue de la Huchette pour s’installer rue du Temple, paroisse Saint-Nicolas-des-Champs, dans le 3e arrondissement où je le retrouve lors de son mariage, le 11 mai 1671, avec Marie DELAROCQUE. J’ignore ce que sont devenues, Anne et Marguerite, ses petites sœurs.

En remontant dans le temps

Le 19 janvier 1625, mon ancêtre, Pierre HOULLIET, maître fourbisseur et garnisseur d’épées, veuf de Michelle BONAMY, marie leur fille, Reyne à Jehan LAGUETTE, maître cordonnier, fils de Nicolas, maréchal et de Jeanne LENORMAND. Pierre demeure rue de la Huchette. Il est le grand-père de Catherine HOULLIET dont on vient de parler.

Sources

Jacques HILLAIRET, « Dictionnaire historique des rues de Paris, tome 1 »

Histoire des boulangers, Arcoma, métiers d’antan

3 réflexions sur “H comme… rue de la Huchette

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