Mon hiver 1956

Voici dans le cadre du Généathème de janvier, un article à deux voix, mêlant les souvenirs écrits par ma mère à ceux que ma mémoire a gardés. J’allais avoir bientôt 7 ans et c’était notre première année à Massy.

La construction de notre nouvelle maison

Quand nous allions à Massy, pour les week-ends et les vacances, nous habitions dans un petit chalet en bois que mes parents avaient installés sur le terrain. Ayant pu acheter une parcelle à gauche du chalet, ils ont concrétisé leur projet de construire en dur, pour y vivre à l’année. Ils ont d’abord commencé par une première partie de la maison, à côté du chalet.

Mais il n’y avait pas d’arrivée d’eau car le terrain était sur un petit sentier qui n’était pas viabilisé. Mon père avait essayé en vain, à deux reprises, de creuser un puits, voyant qu’il y en avait un chez les voisins. Mais il n’a jamais pu atteindre la nappe phréatique à cet endroit, tombant sur le roc. Heureusement, ils ont pu acquérir une autre parcelle, au bout du sentier. « Nous avions fait mettre un compteur d’eau sur ce terrain et Jean a posé un tuyau d’arrosage entre les deux terrains assez profondément pour éviter la gelée. » Ce tuyau amenait l’eau jusqu’à la maison, condition indispensable pour pouvoir faire construire.

Ils n’avaient pas de gros moyens, alors ils se sont inspirés du Mouvement des Castors qui permettaient beaucoup plus de souplesse dans les règles de construction et auprès de qui, on pouvait trouver des conseils techniques. C’est ma maman qui a dessiné les plans et après avoir fait faire tout le gros oeuvre par un maçon, ce sont eux qui ont fait les travaux intérieurs. Maman a posé les vitres et fait la peinture et Papa qui n’avait pourtant jamais eu l’occasion de bricoler à Paris, a installé la plomberie et l’électricité. Et son installation, sans doute pas toujours aux normes, a tenu jusqu’en 2003 où mon neveu ayant racheté la maison a tout repris !

Notre nouvelle demeure comportait juste une salle à manger où dormaient également mes parents, une chambre avec un coin toilette que je partageais avec mon frère et une cuisine. Et c’est donc, à la rentrée d’octobre 1955, que mes parents ont fait le choix de quitter l’appartement de la rue de l’Arbre-Sec, pour fuir la pollution parisienne. Les conditions étaient un peu spartiates et nous n’avions pas encore l’électricité. « Nous devions demander aux voisins l’autorisation de mettre un poteau électrique dans un angle de son jardin. Il était parti en province et ne nous a répondu qu’au printemps suivant. Nous avons dû utiliser une lampe à gaz de camping, une lampe à pétrole et des bougies, avec de jeunes enfants. »

Et c’est l’arrivée du grand froid…

Le mois de février 1956 est marqué par une vague de froid intense en Europe. Dans la nuit du 31 janvier au 1er février, après des mois de décembre 1955 et janvier 1956 très doux, le froid envahit la France, avec des températures chutant de 20 à 25° en moins de 48 heures. La journée du 2 février 1956 reste encore aujourd’hui la plus extrême d’après-guerre. À Paris, le compteur affiche : -14.7°C. De la glace se forme le long de la Seine et dans le sud de la région, le fleuve est même totalement gelé. « On peut noter que la température moyenne pour l’ensemble du mois de février 1956 est de -4,2°C à Paris, ce qui correspond à la normale d’un mois de février à Oslo (Norvège) » et « au total, cette vague de froid aurait fait 12 000 morts en France », souligne le météorologiste Guillaume Séchet sur le site meteo-paris-com.

Le jardin des Tuileries à Paris sous la neige, le 13 février 1956 – AFP

Si la vie industrielle ou la distribution du gaz et de l’électricité ont subi des perturbations qui entraînent plusieurs dizaines de milliards de perte pour l’économie, c’est la production agricole qui est la grande victime. Destruction de la quasi-totalité des primeurs du Midi et d’une partie des légumes d’hiver du centre de la France, accompagnée d’une flambée des prix.

Mes parents on dû faire face…

Tout de suite, notre alimentation précaire en eau, n’a pas tenu… « Les gelées ayant été très fortes le tuyau a été glacé. Nous avons dû aller chercher l’eau au puits du voisin. Nous avons acheté et mis un grand bac en zinc, dans la salle à manger. Avec un seau nous prenions l’eau dans le puits à neuf mètres de profondeur, la remontant avec une manivelle qui était glacée. Jean me passait les seaux par la fenêtre de la chambre et je les vidais dans le bac. Nous faisions ainsi la provision de 200 l pour la semaine. » Je ne me rappelle pas de ce bac ni de ce que mes parents enduraient pour récupérer de l’eau, mais je revois encore le tuyau, gonflé par la glace, qui ressortait à certains endroits du sentier, me faisant penser à un serpent.

La maison, en briques creuses n’était pas encore crépie et les volets pas posés. « Je mettais intérieurement, contre les fenêtres, des plaques d’isorel. Une couche de glace qui atteignait parfois un centimètre se formait sur la vitre et chaque matin je devais la gratter, pour voir clair. » J’ai bien cela en mémoire mais l’image que j’en garde, est celle des biens jolis dessins scintillants que le givre avait créé, par magie, sur les vitres et que j’avais beaucoup de plaisir à découvrir au réveil, y cherchant des évocations d’animaux, d’arbres, de personnages… triste de les voir disparaître peu à peu. J’avais adoré, par la suite, apprendre à l’école ce poème de Maurice Carême et je le relis avec la même émotion de mon enfance qui fait resurgir ces vitres sous mes yeux.

Mon Dieu ! Comme ils sont beaux
Les tremblants animaux
Que le givre a fait naître
La nuit sur ma fenêtre

Ils broutent des fougères
Dans un bois plein d’étoiles,
Et l’on voit la lumière
A travers leurs corps pâles.

Il y a un chevreuil
Qui me connaît déjà ;
Il soulève pour moi
Son front d’entre les feuilles.

Et quand il me regarde,
Ses grands yeux sont si doux
Que je sens mon cœur battre
Et trembler mes genoux.

Laissez moi, ô décembre !
Ce chevreuil merveilleux.
Je resterai sans feu
Dans ma petite chambre.

« Pour nous chauffer, nous n’avions qu’un petit poêle à charbon dans la salle à manger et une nuit, nous avons failli être asphyxiés. Heureusement la chambre des enfants était fermée ! Jean m’a aidé à me lever et m’a calée au-dessus de l’évier, je ne tenais pas toute seule debout. Il a réussi à ouvrir grand la fenêtre pour que nous puissions respirer à pleins poumons avant de faire un malaise. Il est quand même parti travailler mais est revenu dans la matinée, trop souffrant. » Je me souviens bien de l’angoisse rétrospective de mes parents, quand nous nous sommes réveillés, mon frère et moi, mais je n’avais heureusement pas compris, à côté de quel drame, ils étaient passés.

Ce paysage d’hiver était nouveau pour la petite parisienne que j’étais. Malgré le froid, j’aimais flâner sur le chemin de l’école, cueillant des glaçons qui pendait aux arbres pour en faire des sucettes… Je ne racontais pas cela à ma mère qui m’aurait sûrement grondée mais c’est une voisine, m’ayant vu le faire, qui lui a dit. Je me souviens aussi des promenades qu’on allait faire, bien couverts, jusqu’au lac de Verrières-le-Buisson qui avait gelé et sur lequel, certains téméraires faisaient des glissades. Mais je n’étais pas très aventureuse et dans mon manteau de fourrure en peau de lapin, je n’ai pas l’air très rassurée quand même.

Au final, les souvenirs qui me sont restés de cet hiver rigoureux sont plutôt heureux et je ne me souviens pas d’avoir été frigorifiée.

Pour un premier test de vie à la campagne, ce froid glacial n’a pas été tous les jours faciles, pour mes parents mais cela ne les a pas dissuadés de s’installer définitivement à Massy, ce dont j’étais ravie. « Mon mari qui n’avait jamais quitté Paris sauf pour des vacances, craignait de ne pas apprécier l’hiver. Malgré les difficultés rencontrées, il a été heureux de prendre chaque soir un bol d’air. Nous avons décidé de finir la maison comme logement définitif, en construisant une seconde partie à la place du chalet de bois »

Une réflexion sur “Mon hiver 1956

  1. Un bien joli article tout en tendresse 👏 J’ai découvert l’histoire des Castors. Le nom ne m’étais pas inconnu. A priori, le mouvement s’est implanté en Haute-Marne, il faudrait que je regarde ça de plus près aux AD 52 😉.

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