
Voici la touchante histoire d’un couple de la commune des Moitiers-en-Bauptois, dans la Manche. Ils ne font pas partie de mes ancêtres ni même de leurs collatéraux. Mais il est fort possible que nous ayons un lointain cousinage, car j’ai deux branches HASLEY qui doivent bien finir par croiser leur ascendance.

Dans la Manche, on a la chance d’avoir accès à une riche collection de dispenses de consanguinité dans lesquelles peuvent se nicher de belles histoires d’amour. C’est dans l’une d’elle, en date du 1er juillet 1788, que j’ai découvert ce couple. J’ai eu un coup de cœur pour ces amoureux et j’ai souvent raconté leur histoire, me disant qu’il faudrait bien qu’un jour, je l’écrive… Faire davantage connaissance avec eux, pour cet article, me les a rendus encore plus attachants.
Jean François HASLEY
Il naît le 11 avril 1756 aux Moitiers-en-Bauptois, dans la Manche. Il est le fils aîné de Jean HASLEY et de Catherine HEBERT. Après lui, Jacques Agricole, viendra au monde, le 15 mars 1759. Mais malheureusement, la famille ne s’agrandira pas car, le 11 juillet 1760, son père décède, il a 32 ans. Et le 11 juin 1765, c’est sa mère qui s’éteint, âgée de 44 ans. Jean François a alors neuf ans et son petit frère en a six. Je ne sais pas qui les ont recueillis, n’ayant pas retrouvé de tutelle. Leur quatre grands-parents étaient déjà décédés, est-ce la tante paternelle ou l’un des trois oncles maternels que je leur ai trouvés ? Pas sûr, car aucun d’eux ne sera témoin à son mariage. Ils ont certainement dû comprendre, très jeunes, qu’ils allaient devoir travailler dur pour s’en sortir.
Marie Anne HASLEY
Elle voit le jour, dans la même commune, le 17 juillet 1766. Elle sera la fille unique de Jean François HASLEY et de Jeanne de BAUPTE qui se sont mariés, en 1765, à Vindefontaine, d’où est originaire sa mère. Celle-ci a 35 ans et son mari n’a que 24 ans. La dispense nous apprend que, du moins en 1788, le père de Marie Anne est infirme.
Leur rencontre et leur parenté
Une dispense permet de découvrir les raisons invoquées par les futurs époux pour convaincre qu’il faut les marier. Celles de Jean François et Marie Anne sont vraiment émouvantes.
« Le suppliant a dit que depuis plus de six ans, il a conçu pour la suppliante la plus grande amitié et formé le desir de l’épouser, qu’il la frequente depuis ce moment jusqu’à présent dans cette intention quoiqu’il sait qu’ils sont parents du trois au trois […] Il nous a dit que le principal motif est la grande union et la conformité des caracteres, que cependant, etant seul chez lui et connu du public pour avoir si longtemps frequenté la suppliante, il souffrirait un prejudice notable si les superieurs lui refusaient la permission de contracter le mariage projeté. Interrogé en outre sur les avances d’argent qu’il a dû faire tant à cette fille pour lui fournir les meubles et habits dont elle avait besoin qu’à son pere dans ses differents besoins, il nous a repondu qu’il a sacrifié dans leur maison presque tout ce qu’il a pu gagner pendant qu’il a été domestique et depuis qu’il est journalier, qu’il agissait de bonne foi regardant leur maison comme la sienne ; que si on ne lui accorde pas la dispense qu’il sollicite, il sera dans la dure necessité de leur faire des frais ce qui troublerait la paix qui a toujours regné entre eux et mettrait la suppliante dans le cas de ne pouvoir facilement s’etablir quoique leur frequentation n’ait point été scandaleuse. »

« La suppliante dit qu’il y a environ six ans que le suppliant dont elle est proche voisine lui marqua la grande amitié qu’il a pour elle en lui parlant de mariage. Comme ils s’étaient toujours aimés ayant été élevés dans le même hameau et que leurs caractères se convenaient elle fut flattée de la proposition qu’il lui faisait et de ce temps là, ils se frequenterent dans l’intention de contracter mariage ensemble. Elle nous a ajouté que ce jeune homme n’a cessé de rendre à ses parents des services essentiels et qu’à la connaissance publique il avait pour eux les mêmes attentions qu’il aurait eues après le mariage contracté. Interrogée sur les motifs de leur requête, elle a dit que le plus grand est l’union de leurs cœurs joint au désir de donner à son père infirme et à sa mère un gendre qui soit leur soutien et leur consolation dans leur vieillesse […] Si la dispense est refusée, ils seront exposés à souffrir des frais pour rendre au suppliant une somme considérable qu’il leur a prestée en differentes fois, qu’elle serait elle-même reduite à la plus humiliante misere puisque tous les meubles et habits qu’elle peut avoir ont été payés par le dit HASLEY requérant, ce qui l’empecherait de trouver un parti et mettrait son père dans la necessité de vendre ou de remette sa fiefée qui pourtant fait sa principale ressource »

Quatre témoins ont confirmé les dires des suppliants, dont le premier est Jacques HASLEY, âgé de 65 ans, journalier, cousin germain du père du suppliant. Il dit « qu’il a connaissance que les suppliants se hantent depuis cinq à six ans de manière à faire penser que c’est dans le desir de s’epouser sans cependant avoir rien vu ou entendu de scandaleux entre eux ; il a observé qu’ayant le suppliant a travailler avec lui, il s’est aperçu qu’à mesure qu’il gagnait de l’argent il l’a employé dans la maison de la suppliante dont les parents ont souvent besoin et qu’il est tres persuadé qu’il a beaucoup contribué à fournir le peu de meubles et de hardes qu’elle peut avoir ». Il explique ensuite leur lien de parenté. Leur cousinage est assez proche puisque leurs grands-pềres sont frères. C’est donc une dispense de consanguinité du 3e au 3e degré.

Jean François avait 26 ans et Anne en avait 16 quand ils ont commencé à se fréquenter. Et c’est le 24 juillet 1788 que l’heureux mariage est célébré, les mariés ont alors 32 et 22 ans. Ils ont eu pour témoins, Jacques Agricole HASLEY, le frère de Jean François, Jacques HASLEY, le témoin de la dispense et André HASLEY, cousin au 3e degré du père de Marie Anne.
Les métiers de Jean François

Par la dispense, on apprend qu’il a été d’abord domestique puis journalier. Sur l’acte de mariage, il est dit laboureur au Feugrey ainsi qu’en 1813 et cerclaire (cerclier) en 1792, 1802, 1812 et à son décès. Sans doute, qu’ayant peu de terres, il était les deux à la fois.
Leurs enfants
Leur aîné naît le 6 septembre 1789 et se prénomme Jean Agricole. Il est domestique quand il se marie le 8 décembre 1813 avec Jeanne Dorothée HASLEY. Il n’y a pas eu de dispense de consanguinité mais il est possible qu’ils soient de lointains cousins, car la famille de l’épouse est aussi des Moitiers.
Une fille, Marie Anne, vient au monde le 13 mars 1792 mais ils auront le chagrin de la perdre, à l’âge de 17 ans.
Jacques François naît le 22 juillet 1794. Il épouse, le 28 août 1829, Désirée Adélaïde NOEL, à Etienville. Il est couvreur en paille, à son mariage et tisserand, en 1847.
Le 7 juin 1797, c’est la naissance de Jacques Siméon qui se marie, aux Moitiers, le 1er décembre 1841 avec Anne LEGASTELOIS. Il est également tisserand.
Leur seconde fille, Marie Jeanne Françoise, voit le jour le 10 avril 1800 mais je ne sais ce qu’elle est devenue… Elle est suivie par un petit Charles Raphaël, le 26 juin 1802 mais c’est à nouveau la douleur de perdre un enfant, car il décède à 4 ans.
Pierre Joseph naît le 30 janvier 1807. Il sera de même tisserand et épousera aussi une demoiselle HASLEY des Moitiers, prénommée Adélaïde. Il n’y a pas non plus de parenté connue.
La petite dernière, Jeanne Dorothée vient au monde, le 30 janvier 1812. Elle est célibataire quand elle décède, chez son frère aîné, âgée de 48 ans.
Leur hameau du Feugret

Voilà certainement les deux maisons, dans leur environnement du hameau où vivaient Jean François et Marie Anne quand ils étaient jeunes. J’ai pu retrouver ces parcelles sur un livre de mutations des propriétés des Moitiers-en-Bauptois. Et deux ventes, en 1847, faites par leurs fils, me permettent de penser que, les parcelles du bas, dénommées La Croute, appartenaient à Marie Anne et l’autre à Jean François.
Le 26 novembre 1847, Jacques Siméon vend à son frère Jacques François « une petite maison …, composée d’un seul appartement avec grenier dessus, une cour devant à … avec la petite etable batie dessus et une … de jardin legumier et contigue d’une … de deux ares cinquante centiares à peu près, longeant la cour et la maison». Ces biens lui appartenaient « pour les avoir recueillis dans la succession de Jean François HASLEY leur père ».
Le 1er décembre 1847, Jacques François vend « une petite parcelle de terre actuellement en labour et jardin … environ huit ares, connu sous le nom de la Croute. Ce terrain appartenait au vendeur pour l’avoir recueilli de la succession de Marie HASLEY, sa mère, laquelle en étant elle même propriétaire à juste titre depuis une époque qui remonte à plus de trente ans. »
Après leur mariage, ils habitaient sûrement dans la maison de Jean François qui y vivait seul et qui semble plus grande.
La fin de leur belle histoire d’amour
J’ai été heureuse de savoir qu’ils ont pu fêter leur quarante ans de mariage, ce qui est déjà une belle durée à cette époque. Jean François, plus âgé, décède le premier, le 13 novembre 1828, âgé de 72 ans. Marie Anne lui survivra près de douze ans, quittant ce monde, le 30 janvier 1840, à l’âge de 73 ans.
Ces formulations sont superbes : « les suppliants se hantent depuis cinq à six ans de manière à faire penser que c’est dans le desir de s’epouser » !
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