Souvenirs de guerre de Simonne DUCOURNAU, ma mère

Dans les souvenirs que ma mère a écrits pour ses enfants et petits-enfants, il y a des passages émouvants sur cette terrible période de guerre. Elle a vingt-cinq ans, en 1939 et habite à Paris. Je lui laisse la plume pour partager ce qu’elle a vécu, dans cet article.

« La guerre est arrivée. J’ai dû quitter mon travail. Le directeur de l’Alliance Française où j’étais secrétaire, ayant très peu d’élèves, m’a licenciée car je faisais partie de la « Défense passive ». Je devais rejoindre à chaque alerte le poste de secours auquel j’appartenais. »

« Au début de la guerre j’étais seule à Paris. Maman, Émile et Gaby étaient partis à Fleurines, village de l’Oise où nous avions notre maison de campagne. Jacques, mon frère aîné était en Algérie et François, mon frère cadet, s’était engagé volontaire, dès le début de la guerre. Papa, à l’appel de l’armée, avait demandé à reprendre du service, heureux de pouvoir encore aider. Il est parti à St-Quentin transformer l’hôpital civil en hôpital militaire. Tout était bien organisé. Il a eu ses soixante ans en janvier 1940. On l’a alors prié de retourner dans ses foyers. Très vexé, il est revenu à Paris et m’a rejoint au poste de secours de Condorcet. »

« Hôpital de St-Quentin – Mes infirmières et mes malades, 31/12 1939. »

De cet engagement dans la « Défense passive », j’ai son manuel et ses diplômes du 2e et 3e degré.

« Adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés le 8 avril 1935, une loi permet l’organisation de la Défense Passive à travers tout le pays contre les attaques aériennes. Son application est obligatoire sur l’ensemble du territoire et elle est mise en place par le Gouvernement à partir de 1936. Le personnel est composé d’agents et ouvriers des services publics non soumis aux obligations militaires. De volontaires civils (homme ou femme) qui s’engagent pour toute la durée de la guerre, de requis civils en fonction de leurs compétences (comme par exemple des ingénieurs), des réservistes militaires et bien entendu des services de secours : les pompiers, la police, la Croix rouge…La Défense Passive a ainsi pour rôle, avec l’ensemble des municipalités, de construire ou d’aménager et d’indiquer à l’aide de nombreux panneaux, les abris-refuges disponibles dans chaque rue ou quartier. De nombreuses mesures préventives et de nombreux protocoles à adopter en cas d’alertes voient le jour. Concrètement, les différents moyens mis en place ont pour but d’alerter, de protéger, de transporter et éventuellement de déblayer. Afin d’accompagner la population dans ces mesures de protection, les préfectures, départements et communes éditent et impriment de nombreux petits livrets. Distribués aux citoyens, ils ont pour objectif de les guider dans ces nombreuses mesures aussi variées que contraignantes. L’une des mesures phare de la Défense Passive est la distribution de masques à gaz. » (1)

Le poste du Lycée Condorcet

« J’allais à bicyclette du Boulevard St-Germain au Lycée Condorcet, rue du Havre, près de la Gare St Lazare. Le Lycée fonctionnait toujours. Notre poste était installé dans les caves. « 

Je n’ai malheureusement pas les noms des personnes qui sont sur ces photos. J’ai juste ces indications au dos de ces deux photos sur lesquelles on voit Maman, sur l’une avec l’infirmière en chef et sur l’autre avec deux médecins juifs.

« Accueillant depuis le milieu du XIXe siècle un grand nombre d’élèves protestants et israélites, le lycée Condorcet a joué un rôle éminent dans l’émergence du « franco-judaïsme », dans la constitution du réseau dreyfusard, dans l’histoire de la Ligue des droits de l’homme. Frappé de plein fouet par la Seconde Guerre mondiale, il a alors perdu 99% de ses élèves juifs (en juillet 1944, il ne restait plus rue du Havre que 4 élèves porteurs de l’étoile jaune) » (2).

Les deux médecins étaient peut-être d’anciens élèves. Je n’ai pas trouvé d’informations sur ce poste de la Défense passive qui était dans les caves du Lycée.

Des entraînements avaient lieu dans la cour du Lycée avec les équipements de protection contre les gaz qui avaient été si destructeurs en 14-18. Le manuel contient beaucoup de consignes à leur propos.

« Les Parisiens allaient dans les caves ou se terraient chez eux, à la 1ère alerte. Un sifflement annonçait une possible alerte au gaz. Nous avons dû mettre le masque, pendant 2h 30, pour intervenir auprès des blessés. Rien ne s’est produit et surtout pas de gaz. Le poste Condorcet n’a pas beaucoup servi. C’était surtout en banlieue que les bombardements ont démoli et tué. »

L’exode, au printemps 1940

« Au printemps 1940, l’exode a commencé. Tous les soirs j’allais avec les scouts à la Gare du Nord où nous attendions les trains qui transportaient les réfugiés du Nord, déjà très éprouvés en 14-18. Nous étendions de la paille dans le grand hall de la gare pour permettre aux arrivants de se détendre un peu. L’extinction des feux avait lieu à minuit. Certains voyageurs épuisés, mitraillés arrivaient avec un enfant mort dans les bras. Une salle avait été transformée en infirmerie, une autre était réservée aux bébés pour les changer et les nourrir. Dans le hall, la Croix Rouge distribuait des repas : bouillon bien chaud et sandwichs. Un soir, j’ai eu une grosse émotion : les habitants de Fleurines sont arrivés. Je les connaissais mais ne pouvais rien faire de plus pour eux. Tous ceux qui faisaient escale à Paris repartaient le lendemain matin. Des autobus de Paris les emmenaient dans la direction qu’ils désiraient. Je rentrais à la maison et une autre équipe venait remettre la paille en tas, le matin à 6h.« 

« Les PTT ne fonctionnaient plus. Papa m’a demandé d’aller dire à Maman, Émile et Gaby de quitter Fleurines et partir à Bordeaux. J’ai pris ma bicyclette et j’ai fait 50 km. Une alerte m’a arrêtée à Senlis. J’ai pu gagner Fleurines mais la famille était partie pour Chantilly. J’ai pris un bain, mangé de la crème de marron et je suis repartie à Paris. Je voulais voir Maman avant qu’elle prenne la route de Bordeaux. Je suis arrivée à Paris vers 2 h et demi du matin, morte de fatigue après avoir fait 100 km dans l’après-midi. Le lendemain Maman a pris la route pour Bordeaux. »

« Les Allemands arrivèrent à Paris. Le médecin, chef du poste et le chef du centre de Défense passive qui étaient juifs sont devenus nerveux, ainsi que certaines personnes de la Préfecture. Ils nous ont engagés à tous partir. »

« Nous sommes donc partis sur le chemin de l’exode. Papa avait pris le commandement du convoi de l’ambulance, les autres voitures devant rester derrière. Une infirmière conduisait auprès de Papa. Il était impossible de faire retour en arrière. Puis nous avons recueilli des blessés sur la route et surtout à Étampes. Des réfugiés en colonne serrée ont été mitraillés par les Italiens, entrés en guerre. Il y avait des morts et des blessés partout. Plus de brancards pour les transporter. Nous les avons remplacés par des portes, des volets. Il restait 40 blessés qui attendaient dans la cour. Dans l’hôpital il y avait un brancard entre chaque lit. Le sang coulait dans les escaliers. La sœur supérieure est devenue folle. »

« Une autre vague d’avions italiens survenant, des agents de police venus de Paris ont sauté dans la Préfecture. Les fenêtres étant basses, ils tenaient un grand drap qui s’est ouvert : des têtes, des bras, des jambes ont roulé dans la pièce devant moi. Il faut vraiment être dans l’action pour supporter cela !« 

« Nous avions des blessés dans l’ambulance que nous devions déposer dans un autre hôpital. J’ai laissé ma place et pris mon vélo faisant attention à ne pas trop distancer le convoi. Je roulais plus vite qu’eux et prenais des provisions dans les villages quand il en restait. »

Nous sommes arrivés à Bordeaux où nous avons donné le matériel sanitaire à la Préfecture. Papa ne pouvant être engagé dans cette ville, nous sommes allés retrouver Maman, Gaby et Émile, venus se réfugier dans la région d’origine de Papa où il avait encore de la famille, à Gradignan. »

Le retour à Paris

« Le 27 juillet 1940, jour de l’anniversaire de mariage de mes parents, nous sommes retournés à Paris où Papa a rouvert son cabinet de stomatologie sans savoir si ses clients reviendraient. Paris n’avait pas trop souffert mais beaucoup de Parisiens étaient restés en province dans la zone libre. D’autres étaient déjà morts ou prisonniers comme mon frère François.« 

« Peu à peu la vie a repris dans une tension terrible. Des soldats français avaient résisté à Saumur en particulier. De Gaulle avait parlé, Pétain avait pris la tête du gouvernement. Nous pensions qu’il nous aiderait à supporter l’occupation allemande ! Des attentats avaient lieu pour résister mais la police de Pétain était là pour réprimer. À chaque attentat, les S.S. placardaient des affiches annonçant les exécutions de Français ou les rafles des Juifs enfermés au Cherche-Midi ou à Drancy avant de partir en Allemagne. »

François, mon oncle, engagé volontaire, à 19 ans, dès le 10 juillet 1939 a été incorporé le 5 février 1940, à la 4e Compagnie du 27e Bataillon de Chasseurs alpins. Fait prisonnier le 19 juin 1940, au cours de la bataille France, dans le Loiret, il a été interné au stalag VII A, situé à Moosburg, en Bavière. Il y avait en 1943, 40 913 prisonniers répartis en 2 226 kommandos.

Je ne sais à quel date, Émile, le plus jeune frère de Maman, né en 1922 a été envoyé au STO, dans une usine allemande où il a subi les bombardements des alliés.

Maman ne parle plus, après juillet 1940, de son engagement à la Défense passive. Elle a été embauchée comme intendante dans un Centre de jeunesse qui accueillait des adolescentes. Elle raconte les difficultés pour trouver du ravitaillement. Et puis en, mars 1943, elle rencontre mon père, Jean FRERET et ils se marient le 13 juin 1944. Il n’y a pas eu de photo du mariage en raison d’une alerte, quand ils sortaient de l’église. Maman rejoint Papa, dans l’appartement de la rue de l’Arbre-Sec qui appartenait à l’imprimerie Maulde et Renou, où il était revenu travailler, après avoir été très gravement blessé en 1940, à la bataille de Dunkerque, comme je l’ai raconté dans l’article sur ma grand-mère, Constance Victorine QUINTON.

La libération de Paris

« Nous étions dans cet appartement au moment de la Libération de Paris. Pendant un certain moment, nous entendions parler de la volonté des allemands de faire sauter les ponts de Paris. On les voyait accrochés sous les arches des ponts en train de poser des mines. Grâce à un officier qui a discuté avec la Wehrmacht, cette horreur a été évitée. Les craintes étaient très grandes. L’arrivée de Leclerc avec sa 2ème D.B. que nous guettions à la radio, nous a fait penser que c’était fini. C’était aux environs du 24 août 1944. Nous avons assisté à quelques moments difficiles. Dans certains quartiers, la lutte a été intense. Nous avons entendu les batailles de la rue d’Alger et de l’hôtel Continental, près de la Place de la Concorde. Des barricades en travers de notre rue ont été sous les feux des chars allemands. Ils ont reçu des cocktails faits avec de l’essence dans une bouteille. Des Allemands sont morts, d’autres se sont sauvés, une femme a été blessée. Des prisonniers allemands en colonne par deux ou trois sont passés rue de Rivoli. J’ai aperçu sur le toit de l’immeuble d’en face des collabos qui se préparaient à tirer. Je suis descendue en vitesse au poste FFI qui se trouvait dans un garage, sous nos fenêtres. Les tireurs avaient dû me voir, ils n’ont pas été retrouvés. »

La foule accueille les membres des Forces françaises de l’intérieur (FFI) et des chars de la division Leclerc défilant le 26 août 1944 dans la rue Rivoli, au lendemain de la libération de Paris. (AFP)

« Et quand le Général De Gaulle a défilé dans la rue de Rivoli avec ses troupes, c’était l’enthousiasme. Au moment où le défilé arrivait à la hauteur de notre rue, la marche a été fortement accélérée pour arriver plus vite à l’Hôtel de ville. Des balles ont frappé nos volets demi-fermés. Ensuite les cloches ont sonné ! Après tant d’émotions, la joie a explosé, la foule a déferlé dans les rues pour voir et embrasser les soldats, connaître les résultats des batailles. Il y avait partout des chars renversés ou brûlés. Nous étions si nombreux que nous nous marchions sur les pieds. Par endroit des orchestres se sont faits entendre et certains essayaient de danser ! »

 » Après ces évènements, la vie a repris. Mon père a retrouvé sa clientèle, mon mari continuait son travail à l’imprimerie, mais la guerre n’était pas finie dans l’Est de la France. »

Après la reddition de l’Allemagne, le 8 mai 1945, c’est le retour d’Emile et de François. Celui-ci rejoint le Centre de libération Dupleix, le 15 mai, pour 30 jours de convalescence, étant très affaibli, et est démobilisé le 18 juillet.

Sources

1 – La Défense passive en France

2 – Le Lycée Condorcet

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