Pierre Théodore KRABBE est un lointain grand-oncle, à la 7ème génération. Il vient au monde, à Paris, le 27 novembre 1761, fils de mes Sosas, Jean Théodore Bernard et Anne Sabine CERNEAU. C’est le quatrième de la fratrie, après lui, naîtra Antoine Henry dont je descends. Il est âgé de deux ans quand il a le chagrin de perdre sa maman et quatre ans quand décède sa sœur qui le précède. Et il n’a que 16 ans, à la mort de son père. Il n’y a pas de famille KRABBE près d’eux, car son père est natif de Coesfeld, en Allemagne. C’est un cousin de sa mère, Pierre CERNEAU, maître orfèvre qui sera son tuteur ainsi que celui de sa sœur, Anne Marie et de son petit frère, Antoine Henry. Et c’est lui qui les accueillera à son domicile, Pont Saint-Michel, dont j’ai parlé ici. C’est sûrement aussi avec lui que Pierre Théodore a appris son métier de marchand bijoutier.
Il a vingt six ans quand il se marie, le 20 novembre 1787, en l’église Saint-Barthélémy, avec Marie Adélaïde COQUELIN, âgé de vingt ans, fille de Nicolas Sauveur, marchand bonnetier et de Marie Rose GIRAUD. Au préalable, le 12 novembre, un contrat de mariage est signé. Son tuteur n’est plus de ce monde, mais Pierre Théodore est bien entouré, avec pour témoins, sa sœur et son époux, son petit frère, deux des enfants de Pierre CERNEAU et une autre cousine CERNEAU. La liste complète des invités à la noce fait deux pages. Et c’est une soixantaine de signatures qui s’entremêlent sur la dernière page du contrat. La fête a dû être bien belle !
Et le couple démarre, dans leur vie commune, avec de beaux atouts financiers. Les biens de Pierre Théodore se montent à 9 600 livres, « le tout provenant des bénéfices par luy faits dans son etat » consistant entre autres en « diamants, marchandises et ustensiles de son état », La somme est ramenée à 8 500 livres car il doit 1 100 livres pour diverses choses.

Et Marie Adélaîde est dotée, « par moitié de chacun de ses parents, de 3 000 livres en avancement d’hoierie ».
Le huit novembre 1788, elle met au monde un petit Antoine Théodore. Mais après quelques années que j’espère heureuses, que s’est-il passé dans leur vie pour que Pierre Théodore se mette à déraper ? Toujours est-il que Marie Adélaïde n’en peut plus et le douze fructidor An III (29 août 1795), elle demande le divorce qui a été rendu possible depuis peu. Ils semblent déjà ne plus habiter ensemble. Elle habite Pont Saint-Michel, ayant sûrement rejoint le domicile de ses parents, alors que Pierre Théodore demeure rue du Chantre.
Le divorce est légalisé depuis peu
Au cours du Moyen Âge, le mariage est une institution éphémère qui se fait et se défait au gré des alliances et la noblesse française a ainsi largement recours à la répudiation. Dès la fin du XIe siècle, l’Église commence à édicter sa norme du mariage pour finalement prononcer son indissolubilité et interdire le divorce en 1563, lors du Concile de Trente, ne laissant aux catholiques que le seul recours à la séparation de corps qui rompt l’obligation de vie commune sans permettre le remariage. À la fin de l’Ancien Régime, les voix des philosophes des Lumières (notamment Montesquieu et Voltaire) s’élèvent pour condamner l’indissolubilité du mariage. Le mariage est désacralisé et laïcisé par les révolutionnaires le 3 septembre 1791 par l’instauration du mariage civil. Et la loi du 20 septembre 1792 instaure le divorce, car « la faculté de divorcer résulte de la liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte ».
Le divorce peut être prononcé par consentement mutuel, pour « incompatibilité d’humeur ou de caractère » ou encore pour diverses causes (démence, violence, condamnation en justice, dérèglement des mœurs, sévices, abandon, émigration) imputables à un des époux. Le divorce devient alors une procédure simple, sans juge, qui n’oblige pas les époux à motiver leur demande. Cependant, une demande de divorce par consentement mutuel n’est admise qu’au bout d’un minimum de deux ans de vie commune ; sans doute le temps de faire la part des choses. En outre, sauf dans certains cas, un délai est nécessaire entre la demande et le prononcé du divorce ; pendant ce temps-là, un tribunal de famille (chaque époux y désignant deux de ses parents ou amis) s’efforce de concilier les époux.
Le tribunal de famille
Les tribunaux de famille mis en place par la loi des 16 et 24 août 1790 ont parfois été présentés comme une innovation révolutionnaire. Pourtant cette expérience d’arbitrage familial forcé n’est pas vraiment originale: elle a eu des précédents sous l’Ancien Régime et repose sur une conception du rôle de l’arbitre caractéristique de l’ancien droit qui le considérait déjà d’abord comme un pacificateur et accessoirement seulement comme un juge.
Le tribunal de famille n’était pas composé de juges professionnels, mais d’arbitres choisis parmi les parents, amis ou voisins des parties en conflit. Cette approche visait à rendre la justice plus accessible et proche des citoyens. Il était conçu comme un outil de régulation des affaires familiales, en cohérence avec les valeurs révolutionnaires. Le tribunal de famille a fonctionné pendant cinq ans, de 1790 à 1796, avant d’être supprimé. Cette courte durée s’explique par les bouleversements politiques et sociaux de la période révolutionnaire. Malgré les intentions initiales, les hommes de loi, que les révolutionnaires voulaient éloigner, furent souvent impliqués dans les procédures, notamment pour les divorces introduits par la loi du 20 septembre 1792.
Les étapes de leur divorce
Dans le cas de nos époux, les arbitres ont bien été choisis parmi les parents et amis. Pour Marie Adélaïde, il y a son père, Nicolas Sauveur COQUELIN et comme arbitres qu’elle a nommés, Sauveur LECAIN, marchand orfèvre et Louis DEHAUTPAS, de même métier. Pierre Théodore n’en a nommé qu’un, Pierre TIXIER, marchand joaillier et un second lui a été désigné d’office, le sieur AUGARD.
Le douze fructidor An III (29 août 1795), suite à la demande de divorce formulée par Marie Adélaïde, un tribunal de famille s’est réuni pour statuer sur le comportement de Pierre Théodore et l’exhorter à en changer, par procès verbal . Mais cela a dû avoir peu d’effet sur ce dernier. Ce qui fait que le cinq vendémiaire An IV (27 septembre 1795), « en la demeure du citoyen Nicolas Sauveur COQUELIN marchand bonnetier, sise Pont Saint Michel », Marie Adélaïde « dit qu’elle avait de nouveau fait reassigner le citoyen KRABBE pour voir dire qu’attendu que le dit KRABBE n’a… »

« Et par le citoyen KRABBE a été dit qu’il n’est pas question ny de rappeler ces faits dans lesquels la ditte citoyenne COQUELIN demanderai a faire preuve… »

« Surquoy nous arbitres susdits et soussignés avons donné acte aux parties de leur comparutions dires et requisitions apres avoir inutillement tenté les moyens de conciliations et attendu qu’il resulte de l’aveu du dit citoyen KRABBE porté en son dire ci-dessus qu’il a pu mener une vie licencieuse et donné lieu a la demande formée par la citoyenne COQUELIN son épouse attendu d’ailleurs l’acquiessement donné par le dit citoyen KRABBE a la ditte demande et que les faits articulés sont a la connaissance de trois des seants disons qu’aux termes de l’article quatre du paragraphe premier de la loi sur le divorce du vingt septembre mil sept cent quatre vingt douze pour faits de déréglement de moeurs notoire il y a lieu a divorce d’entre la citoyenne Marie Adelaide COQUELIN femme de Pierre Theodore KRABBE et le dit citoyen Pierre Theodore KRABBE et pour le faire prononcer renvoyant la ditte citoyenne Marie Adelaide COQUELIN femme de Pierre Theodore KRABBE devant l’officier public charger des actes à cet effet dans l’arrondissement du domicile de son mary. »
Le divorce est prononcé le 17 frimaire An IV (8 décembre 1795).
Et après…
J’ai lu que l’époux peut se remarier immédiatement après le divorce mais que l’épouse doit attendre un an. La femme perd ses biens si la faute lui incombe alors que le mari garde toujours ses biens !
Qu’en est-il les concernant ? Après la dissolution du mariage, un arrangement est conclu entre les époux, le 17 prairial An IV (six juin 1796), devant notaire. Je n’ai malheureusement pas encore pu voir l’acte et j’espère que Marie Adélaïde a bien gardé au moins tous ses biens. A-t-elle vécu, par la suite, une autre histoire de couple ? Je ne lui ai pas trouvé de remariage. Et Pierre Théodore, après ce divorce, a-t-il sombré encore plus dans l’alcoolisme et la débauche ou a-t-il réussi à s’en sortir ? Pour lui non plus, je n’ai pas trouvé de second mariage. Mais un divorce pour de telles causes a bien pu dissuader d’autres femmes.
Et qu’est devenu leur petit Antoine Théodore ? Il semble avoir bien rebondi, après le divorce de ses parents, alors qu’il avait sept ans. Il devient contrôleur puis capitaine des brigades des douanes. Avant ses vingt-cinq ans, il part à Amsterdam où il rencontre sa belle, Cornelia Louisa VAN OOSTERHOUT. Ils y ont ensemble un fils, le 1er novembre 1813, avant de revenir en France et de se marier, le 29 avril 1816, à Parempuyre en Gironde où il est muté. Ses parents ne sont pas présents mais donnent leur consentement par un acte notarié, passé en commun. J’ai été étonnée de voir qu’une seule adresse, Galerie du Théâtre français au Palais royal, est indiquée pour les deux. Est-ce l’adresse de l’un d’eux où l’acte a été passé, ou bien se sont-ils remis à vivre ensemble, Pierre Théodore s’étant amendé ? Le jeune couple a eu trois enfants et j’ai trouvé, sur internet, leur arrière-petite-fille dont j’ai parlé, l’an dernier, dans mon article D comme… rue Duphot.
C’est la dernière trace que j’ai de Marie Adélaïde dont je n’ai pas trouvé le décès. Pierre Théodore a poursuivi sa vie, jusqu’au 13 octobre 1827 où il décède, à 65 ans, 245 rue Saint-Honoré. Il est inhumé, le 14 octobre au Cimetière de Montmartre. Je n’ai pas encore pu consulter, son inventaire après décès dont j’ai trouvé la cote. Apprendrai-je d’autres éléments sur la fin de sa vie ?
Sources
Dossier du divorce, sur Geneanet
Loi autorisant le divorce en France — Wikipédia
Arbitrage forcé et justice d’État pendant la Révolution française d’après l’exemple de Montpellier
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