I comme… Inventaires de caves

Je n’ai malheureusement aucun inventaire après décès de mes ancêtres bordelais et bourguignons qui m’auraient permis peut-être de découvrir le contenu de leurs caves. Alors, après la cave de Pierre HOUDART, marchand de vin de Belleville, ce sont deux caves, au cœur de Paris que nous allons découvrir.

La cave d’un marchand de vin

Nous voici de nouveau chez Laurent BOUTRON que nous avons croisé, au moment où il cédait son fonds de commerce à son fils, Edmé Laurent. Il vient de décéder, le 1e 7 juillet 1726, en sa demeure rue des Poulies qu’il n’a pas quittée, après l’installation de son fils, la maison étant grande. Un inventaire après décès a lieu le 9 juillet, en présence de tous ses enfants. Et dans cet acte de cinquante cinq pages, j’ai trouvé l’inventaire des vins et ustensiles de sa profession qui se trouvent « dans une cave proche de la maison qu’il tenait à loyer du Sieur Lagrange », celle dont il avait partagé le loyer avec son fils. Laurent a donc continué son métier après avoir cédé son fonds de commerce. Tout le contenu de cette cave « est prisé et estimé à juste valeur et sans crue par led. Goyenval huissier priseur de l’avis des Sieurs Claude Falluet et Claude Gauffé, tous deux marchands de vin. » (1)

Puis l’inventaire se poursuit ,sur la page suivante, mais avec des vins dont la provenance n’est pas mentionnée. Cela m’a paru plus clair de regrouper les montants et estimations dans un tableau. J’ai renoncé à exprimer en litres les quantités.

S’ensuit les ustensiles de sa profession qui sont de peu de valeur. Mais la présence de « caraffons vuides » est intéressante.

Le total estimé du contenu de la cave se monte donc à 1 869 livres. Passé dans un convertisseur de monnaie d’Ancien Régime, cela donne 21 075 euros ! La cave de l’un des douze marchands de vin privilégié du Roi suivant la cour, à Paris, est donc beaucoup plus fournie, notamment en vin de qualité, que celle de mon marchand de vin de Belleville dont la prisée, on s’en souvient, se montait à 7 350 euros.

Vins de Champagne et vins de Bourgogne

Au vu des prisées de l’inventaire de Laurent BOUTRON, les vins de Macon semblent, à l’époque, mieux côtés que ceux de Champagne. Mais il y a une incertitude sur la contenance des différentes « demy queues » car il n’est pas précisé si elles sont bien jauge de Paris, soit 228 L – comme cela devait l’être, légalement, pour le vin entrant dans Paris – ou jauge du lieu de provenance, comme pour le vin évalué à Belleville qui se trouvait hors des murs de Paris.

À la Cour de France, au début du 17ème siècle, c’est le vin de Champagne (à cette époque, il n’est ni blanc ni effervescent mais rouge et tranquille) qui rencontre le plus de succès. Mais il a suffi d’une ordonnance, en 1693, du premier médecin de Louis XIV, Guy Crescent Fagon, pour que le vin de Bourgogne devienne plus à la mode que le Champagne : « que le roi voulut bien quitter l’usage du vin de Champagne qui s’aigrit très aisément parce qu’il a plus de tartre et moins d’esprit que celui de Bourgogne ». À la même période, un certain Claude Brosse, vigneron dans le Mâconnais, se rend à Versailles avec des tonneaux de vin. Sorte de pionnier de la vente directe, il veut faire déguster sa production au Roi ! La cour s’empara de la nouvelle mode et adopte elle aussi le vin de Bourgogne. Ce goût se perpétue sous Louis XV et Louis XVI : toute l’aristocratie française se passionne pour les vins bourguignons.

Absence de vins bordelais

Comme dans la cave de Pierre HOUDART, il n’y a pas de vins bordelais, cela m’a intriguée et j’ai voulu comprendre pourquoi. Il semble que le négoce du vin de la région se faisait essentiellement par voie maritime. « Pour l’année 1699-1700, sur un total de 86 000 tonneaux (de 900 litres) de vin sortis du port de Bordeaux, l’étranger en absorbe 52 000 et la France 34 000, soit respectivement 60 et 40 %. […] Les meilleurs clients se sont les Hollandais qui absorbent près des deux tiers (63%) des vins achetés par l’étranger […]. Et le principal client de Bordeaux, après la Hollande, c’est la Bretagne, avec 22 000 tonneaux. » (2)

La cave d’un maître tailleur des dames de France

Jean Théodore Bernard KRABBE voit le jour, le 21 février 1720, à Coesfeld en Allemagne, fils d’Albert, maître tailleur d’habits et d’Elizabeth KOENIG. Vers 1737, il arrive en France où se trouve, son oncle, maître tailleur privilégié du roi suivant la Cour. Il est naturalisé le 11 mars 1752 et épouse le 13 juin 1755, Anne Sabine CERNEAU, fille de Nicolas CERNEAU, notaire et procureur fiscal au bailliage de Rosny-sur-Seine. Raconter sa vie plus en détail sera un autre défi. Nous voici, rue des Prouvaires, lors de l’inventaire fait après son décès survenu à son domicile, le 7 juillet 1777. Sont présents ses enfants, Pierre Henry, maître chandelier et ses trois plus jeunes, Anne-Marie, Pierre Théodore et Antoine Henry, tous trois encore mineurs représentés par leur tuteur, Pierre CERNEAU. De cet inventaire, j’extrais juste, le contenu de sa cave ! L’acte est un peu plus difficile à transcrire intégralement. (3)

  • deux pièces de vin rouge jauge de Macon […] prisées deux cent dix livres
  • quatre cent bouteilles … remplies de Mercurey crû de Macon, prisés cent soixante livres
  • deux tonneaux vuides , six morceaux de bois de chesne servant de chantiers et cinquante bouteilles en gros verre vuides prisés ensemble …

Une pièce de vin dans le Mâconnais, contiendrait 142 litres. Cela fait quand même une cave très fournie pour un particulier !

Carafons et bouteilles

Dans la cave de Laurent BOUTRON, en 1726, il est question de « caraffons », dans celle de Jean Théodore Bernard KRABBE, en 1777, ce sont des « bouteilles en gros verre ». Je n’ai malheureusement pas trouvé d’illustrations ni même d’informations sur les caraffons. Quelle différence avec une bouteille ?

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, à peu près partout en Europe, la quasi-totalité des boissons sont vendus en gros et transportés au loin dans des tonneaux de bois de toute forme et de toute contenance. L’usage de la bouteille se concentre en bout de chaîne : elle est un récipient de la vente au détail que le marchand ou l’aubergiste remplit au tonneau à la demande du client. Mais la plupart des bouteilles étaient alors presque aussi fines que des verres à boire. Au XVIIIe siècle, les bouteilles en verre ont connu des évolutions significatives, notamment en termes de forme et de solidité. Les Anglais mettent au point, par l’utilisation du charbon pour chauffer les fours, la fabrication d’un verre plus épais et solide, le vert « noir » ou « gros verre « . Les formes des bouteilles, devenant progressivement hautes et cylindriques contribuent largement au succès de ce récipient, en permettant un gain de place pour le transport et le stockage.

Extrait du tableau, « Le déjeuner de jambon » de Nicolas LANCRET, 1735 – Musée Condé
Leur utilisation pour commercialiser le vin était auparavant interdite car les contenances n’étaient pas respectées. Dès 1707, les bouteilles anglaises sont adoptées en France et en 1723, est implantée la verrerie Mitchell, future « Verrerie royale de Bordeaux ». Le 8 mars 1735, une déclaration fixe pour tout le royaume, et donc aussi pour l’exportation, la contenance à 1 pinte (0,93 litre) et le poids de verre à 25 onces (0,98 kilogramme). Quoique cette tentative d’uniformisation se heurte à des obstacles et laisse subsister une grande variété de formes dans les bouteilles, elle témoigne d’une volonté de garantir la capacité et la solidité de ce récipient, au bénéfice du consommateur et du commerce.

Sources

(1) Inventaire après décès de Laurent BOUTRON, 9 juillet 1726, MC/ET/LIII/238

(2) « Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français », Marcel LACHIVER, Fayard

(3) Inventaire après décès de Jean Théodore Bernard KRABBE, 2 juillet 1777, MC/ET/LXIV/447

« Quelques réflexions à propos de l’étude des bouteilles d’usage en France au XVIIIe siècle », Thierry De PUTTER, Bull. AFAV 2014

Histoire de la bouteille en verre

Une réflexion sur “I comme… Inventaires de caves

Répondre à Briqueloup Annuler la réponse.